
Introduction et contexte
Il était une fois en Allemagne au début du XXème siècle, un homme nommé Peter Kurten s’amusait à tuer au hasard des femmes et des enfants dans la rue par pur sadisme.
Surnommé le « Vampire de Düsseldorf », ce dernier a commis certains des crimes les plus abominables que l’humanité a pu connaître. Le 25 mai 1913, il tua de ses propres mains, une petite fille de neuf ans, de plusieurs coups de couteau. Sans le moindre remords, il récidiva le 8 février 1929 en assassinant Rosa Ohliger, également âgée de neuf ans, par étranglement et coups de ciseaux infligés aux zones intimes.
Quelques mois plus tard, le 24 août 1929, il tua froidement Gertrude Hamacher, cinq ans, et Luise Lenzen, quatorze ans. Cette dernière fut étranglée, frappée de nombreux coups de ciseaux, puis sa gorge fut tranchée afin que Kürten puisse en boire le sang. Le 7 novembre de la même année, il s’en prit à une autre fillette de cinq ans, Gertrude Albermann, qu’il étrangla et poignarda à coups de ciseaux.
Kürten accomplit ses crimes avec une froideur extrême, allant parfois jusqu’à incendier les corps de ses victimes et à boire leur sang pour provoquer chez lui des orgasmes.
Lors de son procès, la défense fit appel à cinq médecins et psychiatres qui conclurent unanimement qu’il était juridiquement sain d’esprit et qu’il avait toujours eu le contrôle de ses actes.
Avant son exécution, Kurten déclara froidement et sans détour n’éprouver ni remords ni honte pour ses crimes affirmant même en tirer un certain plaisir. Ses derniers mots parlent d’eux mêmes: « Je n’ai aucun remords. Quant à savoir si le souvenir de mes actes me fait honte, je vous dirai que me replonger dans tous les détails n’est pas du tout désagréable. Je dirais même que j’y prends plaisir. »1
Face à des crimes aussi abominables, il est légitime de se poser la question: Peter Kurten méritait-il la peine de mort?
Dans cet article, nous proposons de passer en revue et de résumer l’argument de David Oderberg en faveur de la peine capitale développé dans son livre Applied Ethics.2
L’argument central en faveur de la peine de mort
Une défense philosophique de la peine de mort repose sur un présupposé crucial — que nous ne chercherons pas à démontrer ici — selon lequel les êtres humains disposent du libre arbitre et sont capables de choisir entre le bien et le mal.
Pour les déterministes, qui nient l’existence du libre arbitre, la peine de mort ne peut pas être justifiée en tant que punition, puisque la notion même de punition devient injustifiable.
Certes, les déterministes pourraient tenter de justifier la peine capitale sur d’autres fondements — tels que l’utilitarisme, la dissuasion ou la protection de la société — mais ils ne peuvent pas la justifier comme une punition infligée au nom de la justice rétributive, puisqu’on ne punit pas moralement des agents qui ne seraient pas responsables de leurs actes.
Supposons cependant que le libre arbitre existe bel et bien et que les criminels aient réellement la possibilité de choisir de commettre ou de ne pas commettre leurs crimes.
Dans ce cas, le concept même de punition apparaît comme justifié. Les criminels ont délibérément mal agi : ils auraient pu choisir le bien, mais ont volontairement choisi de faire le mal et d’infliger un tort grave à leurs victimes. C’est précisément cette responsabilité morale qui fonde la légitimité de leur punition.
Si l’on admet que punir les criminels est justifié, il faut alors se demander qui possède l’autorité légitime pour exercer cette punition. Vous et moi ? Évidemment non.
Si chaque citoyen s’arrogeait le droit de « régler ses comptes », la société sombrerait rapidement dans le chaos et l’anarchie.
Dans toute société organisée, c’est donc l’État qui, afin d’éviter ce désordre, détient le monopole légitime de la punition. La justice étatique a précisément pour fonction d’évaluer objectivement la gravité des crimes, ainsi que les circonstances atténuantes ou aggravantes, afin de déterminer la sanction la plus juste possible.
Admettons maintenant que l’État ait le droit de punir les criminels pour les crimes qu’ils ont commis. La question porte alors sur la sévérité de la punition : doit-elle être légère ou sévère ? La réponse dépend manifestement de la gravité du crime.
Il est évident qu’un meurtrier multirécidiviste mérite une peine plus sévère qu’un voleur de vélo ! Pour que la justice soit correctement rendue, la peine doit donc être proportionnée au crime commis : plus le crime est grave, plus la punition doit être sévère (principe de proportionnalité)
David Oderberg explique ce principe ainsi: « La punition doit, d’une manière ou d’une autre, correspondre à la gravité du crime commis. Il s’agit d’un élément standard et essentiel de la détermination des peines, et aussi d’une composante naturelle de tout acte de punition — qu’il s’agisse d’un parent envers un enfant, d’un enseignant envers un élève, etc. : lorsque la punition ne correspond pas au crime, la justice est compromise, soit par indulgence excessive, soit par sévérité excessive. » 3
À ce stade de l’argumentation, il convient de reconnaître un fait empirique simple : il existe dans ce monde des crimes véritablement abominables, des crimes si monstrueux qu’on peut légitimement les qualifier de « pires crimes possibles ».
Nous ne soutenons pas qu’il existe un crime unique qui serait le plus grave de tous, mais bien qu’il existe des types ou des catégories de crimes qui sont les plus graves — tels que le meurtre prémédité, la torture d’enfants, le génocide, etc.
Ainsi, selon le principe de proportionnalité, les pires crimes méritent la pire des punitions possibles, et l’État est en droit d’infliger une telle punition.
Reste alors à déterminer quelle peut être la pire punition possible. Il semble raisonnable d’affirmer que la mise à mort constitue l’une des pires peines qu’il soit possible d’infliger à un être humain.
En effet, la peine de mort prive définitivement une personne de la possibilité de poursuivre toute forme de bien terrestre. Elle implique une suppression radicale de toute perspective de vie morale, sociale et personnelle. À ce titre, la peine de mort peut être considérée comme l’une des pires punitions existantes.
Nous ne soutenons pas nécessairement qu’elle soit la pire punition possible, car certains pourraient objecter que la réclusion à perpétuité peut être subjectivement plus pénible à endurer qu’une mise à mort rapide et relativement indolore.
Toutefois, si l’on admet que l’État a le droit d’infliger la pire punition possible pour les pires crimes, il s’ensuit a fortiori qu’il a le droit d’infliger une punition moindre (qui peut le plus peut le moins !).
Ainsi, même si l’on supposait que la prison à perpétuité constitue un châtiment plus sévère que la peine de mort, il en résulterait que l’État est en droit d’infliger l’une comme l’autre.
L’argument formalisé
On résumera l’argument de David Oderberg ainsi :
1) Les criminels méritent une punition
2) L’État a le droit d’infliger aux criminels la punition qu’ils méritent.
3) Il existe certains types de crimes qui peuvent être qualifiés de « pires crimes possibles » (ex : meurtres prémédités, génocides, torture d’enfants à mort, etc)
4) Dans un système judiciaire, il existe une punition que l’on peut appeler « la plus sévère des punitions possibles »
5) La punition doit être proportionnelle à la gravité du crime : plus un crime est grave, plus la punition doit être sévère (Principe de proportionnalité)
6) Par conséquent, pour les pires crimes possibles, l’État a le droit d’infliger la punition la plus sévère possible (par 1 à 5)
7) La mise à mort est l’une des punitions les plus sévères possible.
8) Donc l’État a le droit de mettre à mort ceux qui ont commis de tels crimes (par 6 et 7)
Notez que cet argument, légitime la peine de mort en vertu de la justice rétributive. Il ne dépend aucunement de considérations conséquentialiste du type « la peine de mort est dissuasive » ou « légaliser la peine de mort diminue les crimes ». Ces affirmations sont sans doute vraies mais l’argument présenté ci-dessus resterait valable même si ces considérations étaient fausses.
- Swinney, C.L. (2016). Monster: The True Story of Serial Killer Peter Kürten. Toronto, Ontario, Canada: RJ Parker Publishing. ↩︎
- David S. Oderberg, Applied Ethics : A Non-Consequentialist Approach — Wiley-Blackwell, 2000,p. 156-162
↩︎ - David S. Oderberg, Applied Ethics : A Non-Consequentialist Approach — Wiley-Blackwell, 2000,p. 158 ↩︎