
Aujourd’hui, certains catholiques se trouvent parfois déconcertés et insuffisamment informés au sujet du magistère de l’Église et de ses degrés d’autorité. Ils s’interrogent notamment sur l’attitude que le fidèle doit adopter à son égard : quels en sont les différents degrés d’autorité ? Dans quels cas l’infaillibilité s’exerce-t-elle ? Est-il légitime de rejeter un enseignement du magistère qui n’est pas infaillible ? C’est à ces questions essentielles que nous nous proposons de répondre dans cet article.1
Degrés d’autorité du magistère suprême
D’abord un petit rappel. Dans le magistère suprême, on distingue trois degrés d’autorité:
Niveau 1: Engagement absolu, avec pleine assistance divine et donc infaillibilité.
Niveau 2: Engagement avec autorité, mais partielle, jouissant d’une assistance divine non absolue ni infaillible. On parle alors de magistère « simplement authentique »
Niveau 3: Engagement seulement pédagogique, non autoritaire.
*Les enseignements du niveau 1 nécessitent un assentiment de Foi. Cet assentiment est certain et irrévocable. L’erreur est impossible même si la formulation peut être améliorée.
*Les enseignements du niveau 2 nécessitent un assentiment religieux (« soumission religieuse de l’intelligence et de la volonté » LG 25). Il s’agit là d’un jugement probable qui ne relève pas formellement de la Foi. L’erreur est improbable (mais non impossible)
*Le niveau 3 nécessite seulement une attention docile, sans que l’adhésion ne s’impose. En effet ce niveau fait souvent usage d’illustrations, images, exemples, argumentations, etc., il ne met pas proprement en œuvre l’assistance divine. Il exerce seulement son rôle pédagogique. C’est pourquoi, à ce niveau, le magistère authentique ne parle pas de façon autoritaire.
L’engagement du magistère varie dans un même document. Il est donc tout à fait inapproprié de demander si « cette encyclique », ou « ce concile » est infaillible : une réponse générale est impossible. Il faut analyser chaque partie du document et déterminer ce qui relève du niveau 1, 2 ou 3 et distinguer ce qui relève de la discipline ou de la pastorale et ce qui relève d’un réel enseignement doctrinal.
Il faut aussi distinguer ce qui est directement visé et ce qui est utilisé à titre d’illustration, d’argumentation ou de commentaire. Seul ce qui est directement visé relève de l’autorité magistérielle à proprement parler. Pour le reste, les propos du magistère ne requièrent pas l’adhésion mais une simple docilité ou « prise en compte respectueuse ».
L’infaillibilité du magistère suprême peut s’exercer en trois circonstances
1) Par le pape seul lorsqu’il parle ex cathedra
2) Par le magistère ordinaire et universel (pape et l’ensemble des évêques en communion avec lui répandus à travers le monde dans une unanimité morale)
3) Par les jugements solennels d’un concile œcuménique (pape et l’ensemble des évêques en communion avec lui).
L’infaillibilité est garantie lorsque la doctrine est directement affirmée et formellement présentée comme révélée, ou comme liée à la révélation, ou comme absolument obligatoire/définitive. Au contraire, si le lien avec la révélation n’est pas explicité ou si l’enseignement n’est pas présenté comme absolument obligatoire, alors on doit normalement tenir qu’il s’agit d’un enseignement du magistère simplement authentique (non infaillible).
Voyons à présent ces trois modes d’infaillibilité
1) L’infaillibilité pontificale
Le concile Vatican I a défini dogmatiquement que « Le pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, en vertu de sa suprême autorité apostolique, il définit une doctrine en matière de foi ou de morale à tenir par toute l’Église, jouit, en vertu de l’assistance divine qui lui a été promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que soit pourvue son Église lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi ou la morale. » (Concile Vatican I, Pastor Aeternus)
Pour que l’infaillibilité pontificale s’exerce il faut donc que le Pape 1) S’adresse à l’ensemble de l’Eglise universelle en faisant appel à sa suprême autorité apostolique et 2) Définisse une doctrine touchant à la foi ou aux mœurs
Ici le mot définir ici signifie « déterminer avec précision et de façon directe la signification d’une doctrine». Il faut que la doctrine soit directement affirmée et formellement présentée comme révélée, ou comme liée à la révélation, ou comme absolument obligatoire (volonté d’obliger). En dehors de ces conditions strictes, le pape peut en théorie se tromper (même s’il ne peut pas se tromper habituellement dans l’exercice de son magistère ordinaire (cf Donum Veritatis 24)
Un exemple qui fait consensus sur l’usage de l’infaillibilité pontificale est celui de l’Assomption de Marie (Constitution dogmatique Munificentissimus Deus, § 44 – 45)
2) Jugement solennels lors des conciles œcuméniques
Pour que le jugement solennel soit infaillible dans le cadre d’un concile œcuménique, il faut que ce jugement solennel ait pour objet direct une vérité liée à la foi ou aux mœurs. On les reconnaît souvent grâce à des canons anathèmisant.
Exemple: « Si quelqu’un dit que dans le très saint sacrement de l’eucharistie ne sont pas contenus vraiment, réellement et substantiellement le Corps et le Sang en même temps que l’âme et la divinité de notre Seigneur Jésus Christ et, en conséquence, le Christ tout entier, mais dit qu’ils n’y sont qu’en tant que dans un signe ou en figure ou virtuellement qu’il soit anathème. » (Concile de Trente, 13ième session, canons sur l’eucharistie)
Attention: certains conciles ont émis des jugements solennels (avec des canons anathèmisant) qui relèvent purement de la discipline.
3) L’infaillibilité du magistère ordinaire et universel (MOU)
Le concile Vatican I a aussi proclamé: « En outre on doit croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la Parole de Dieu, écrite ou transmise par la Tradition, et que l’Eglise propose à croire comme divinement révélé, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel. » (Constitution Dei Filius,chapitre 3, 1870)
Pour qu’une doctrine soit infaillible via le magistère ordinaire et universel, il faut que l’ensemble des évêques unis au pape dans leur accord moralement unanime enseignent une doctrine comme étant divinement révélée ou nécessairement liée à la révélation.
Le Pape Pie IX, précise en effet : « Nous voulons Nous persuader qu’ils n’ont pas voulu que l’obligation à laquelle sont totalement soumis les maîtres et écrivains catholiques soit uniquement restreinte aux sujets que le jugement infaillible de l’Eglise propose à tous de croire comme des dogmes de foi. Notre conviction est aussi qu’ils n’ont pas voulu déclarer que cette adhésion parfaite aux vérités révélées, dont ils ont reconnu l’absolue nécessité pour arriver au véritable progrès des sciences et pour réfuter les erreurs, puisse être obtenue en se contentant d’accorder foi et respect à tous les dogmes expressément définis par l’Eglise. Car, même s’il s’agissait de cette mission qui doit se manifester par l’acte de foi divine. Elle ne saurait être limitée à ce qui a été défini par les décrets exprès des conciles oecuméniques ou des pontifes romains de ce Siège apostolique, mais elle doit aussi s’étendre à ce que le magistère ordinaire de toute l’Eglise répandue dans l’univers transmet comme divinement révélé et, par conséquent, qui est retenu d’un consensus unanime et universel par les théologiens catholiques, comme appartenant à la foi. » (Tuas libenter, 1863 )
Un exemple simple d’exercice du MOU concerne la condamnation infaillible de l’immoralité l’avortement: « C’est pourquoi, avec l’autorité conférée par le Christ à Pierre et à ses successeurs, en communion avec les Evêques — qui ont condamné l’avortement à différentes reprises et qui, en réponse à la consultation précédemment mentionnée, même dispersés dans le monde, ont exprimé unanimement leur accord avec cette doctrine —, je déclare que l’avortement direct, c’est-à-dire voulu comme fin ou comme moyen, constitue toujours un désordre moral grave, en tant que meurtre délibéré d’un être humain innocent. Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite; ella est transmise par la Tradition de l’Eglise et enseignée par le Magistère ordinaire et universel. » (EV 62)
Objet secondaire de l’infaillibilité
Par ailleurs, la doctrine catholique affirme que l’infaillibilité concerne aussi ce qui est nécessairement lié au dépôt de la révélation: « Le devoir de conserver saintement et d’exposer fidèlement le dépôt de la divine Révélation implique, de par sa nature, que le Magistère puisse proposer « d’une manière définitive » des énoncés qui, même s’ils ne sont pas contenus dans les vérités de foi, leur sont cependant intimement connexes, de sorte que le caractère définitif de telles affirmations dérive, en dernier ressort, de la Révélation elle-même. » (Donum Veritatis 16)
Exemples: la légitimité de l’élection d’un pape, la reconnaissance officielle d’un concile œcuménique, la canonisation des saints, l’invalidité des ordinations anglicanes, etc.
Si la doctrine est présentée comme révélée (objet primaire de l’infaillibilité) alors on dit qu’elle est « de Foi divine et catholique ». Si la doctrine est présentée comme nécessairement liée au dépôt révélé, ou comme absolument obligatoire, (objet secondaire de l’infaillibilité) alors elle est qualifiée de « vérité définitive ». Pour cet objet secondaire du magistère infaillible on parle de vérités à « tenir définitivement, fermement ». Dans les deux cas la doctrine est bien infaillible.
Résumé sur l’infaillibilité (avec le droit canonique actuel)
Les différents degrés d’autorité du magistère ainsi que les conditions pour l’infaillibilité se retrouvent admirablement résumées dans le code de droit canonique actuel.
Can. 750n – § 1. On doit croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu écrite ou transmise par la tradition, c’est-à-dire dans l’unique dépôt de la foi confié à l’Église et qui est en même temps proposé comme divinement révélé par le Magistère solennel de l’Église ou par son Magistère ordinaire et universel, à savoir ce qui est manifesté par la commune adhésion des fidèles sous la conduite du Magistère sacré; tous sont donc tenus d’éviter toute doctrine contraire.
§ 2. On doit aussi adopter fermement et faire sien tous les points, et chacun d’eux, de la doctrine concernant la foi ou les mœurs que le Magistère de l’Église propose comme définitifs, c’est-à-dire qui sont exigés pour conserver saintement et exposer fidèlement le dépôt de la foi; celui qui repousse ces points qui doivent être tenus pour définitifs s’oppose donc à la doctrine de l’Église catholique.
Can. 749 – § 1. Le Pontife Suprême, en vertu de sa charge, jouit de l’infaillibilité dans le magistère lorsque, comme Pasteur et Docteur suprême de tous les fidèles auquel il appartient de confirmer ses frères dans la foi, il proclame par un acte décisif une doctrine à tenir sur la foi ou les mœurs.
§ 2. Le Collège des Évêques jouit lui aussi de l’infaillibilité dans le magistère lorsque les Évêques assemblés en Concile Œcuménique exercent le magistère comme docteurs et juges de la foi et des mœurs, et déclarent pour l’Église tout entière qu’il faut tenir de manière définitive une doctrine qui concerne la foi ou les mœurs; [jugements solennels des conciles œcuméniques] ou bien encore lorsque les Évêques, dispersés à travers le monde, gardant le lien de la communion entre eux et avec le successeur de Pierre, enseignant authentiquement en union avec ce même Pontife Romain ce qui concerne la foi ou les mœurs, s’accordent sur un point de doctrine à tenir de manière définitive. [magistère ordinaire et universel]
§ 3. Aucune doctrine n’est considérée comme infailliblement définie que si cela est manifestement établi.
Peut-on rejeter un enseignement du magistère pontifical sous prétexte qu’il n’est pas infaillible?
Ordinairement les catholiques doivent adhérer aux enseignements des Papes même s’ils ne sont pas infaillibles. Le concile Vatican II rappelle bien que: « Cet assentiment religieux de la volonté et de l’intelligence est dû, à un titre singulier, au Souverain Pontife en son magistère authentique, même lorsqu’il ne parle pas ex cathedra, ce qui implique la reconnaissance respectueuse de son suprême magistère, et l’adhésion sincère à ses affirmations, en conformité à ce qu’il manifeste de sa pensée et de sa volonté et que l’on peut déduire en particulier du caractère des documents, ou de l’insistance à proposer une certaine doctrine, ou de la manière même de s’exprimer. » (Lumen Gentium 25)
Le Pape Pie XII enseignait déjà substantiellement la même chose dans son Encyclique Humani Generis « Et l’on ne doit pas penser que ce qui est proposé dans les lettres Encycliques n’exige pas de soi l’assentiment, sous le prétexte que les Papes n’y exerceraient pas le pouvoir suprême de leur magistère. C’est bien, en effet, du magistère ordinaire que relève cet enseignement et pour ce magistère vaut aussi la parole : « Qui vous écoute, m’écoute… « , et le plus souvent ce qui est proposé et imposé dans les Encycliques appartient depuis longtemps d’ailleurs à la doctrine catholique. » (Pie XII, Humani Generis, 1950)
Et le code de droit canonique actuel confirme : “Ce n’est pas vraiment un assentiment de foi, mais néanmoins une soumission religieuse de l’intelligence et de la volonté qu’il faut accorder à une doctrine que le Pontife Suprême ou le Collège des Évêques énonce en matière de foi ou de mœurs, même s’ils n’ont pas l’intention de la proclamer par un acte décisif; les fidèles veilleront donc à éviter ce qui ne concorde pas avec cette doctrine.” (Can. 752)
Autrement dit, à moins d’avoir de graves raisons objectives de penser que le magistère non-infaillible se trompe sur tel ou tel point, il n’est pas permis aux catholiques de remettre en question ces enseignements.
Dans quelles circonstances peut-on rejeter un enseignement du magistère non-infaillible?
Dans l’instruction Donum Veritatis, la congrégation pour la doctrine de la foi précise néanmoins : « La volonté d’acquiescement loyal à cet enseignement du Magistère en matière de soi non-irréformable doit être la règle. Il peut cependant arriver que le théologien se pose des questions portant, selon les cas, sur l’opportunité, sur la forme ou même le contenu d’une intervention. […] Dans ce domaine des interventions d’ordre prudentiel, il est arrivé que des documents magistériels ne soient pas exempts de déficiences. Les Pasteurs n’ont pas toujours perçu aussitôt tous les aspects ou toute la complexité d’une question. Mais il serait contraire à la vérité de conclure, à partir de certains cas déterminés, que le Magistère de l’Église puisse se tromper habituellement dans ses jugements prudentiels, ou qu’il ne jouisse pas de l’assistance divine dans l’exercice intégral de sa mission. » (Donum Vertitatis 24)
Et le document poursuit: « le théologien s’efforcera de comprendre cet enseignement dans son contenu, dans ses raisons et dans ses motifs. À cela il consacrera une réflexion approfondie et patiente, prompt à revoir ses propres opinions et à examiner les objections qui lui seraient faites par ses pairs. Si, en dépit d’efforts loyaux, les difficultés persistent, c’est un devoir pour le théologien de faire connaître aux autorités magistérielles les problèmes que soulève un enseignement en lui-même, dans les justifications qui en sont proposées ou encore dans la manière selon laquelle il est présenté. Il le fera dans un esprit évangélique, avec le désir profond de résoudre les difficultés. Ses objections pourront alors contribuer à un réel progrès, en stimulant le Magistère à proposer l’enseignement de l’Église d’une manière plus approfondie et mieux argumentée.[…] Il peut aussi arriver qu’au terme d’un examen de l’enseignement du Magistère, sérieux et mené dans une volonté d’écoute sans réticences, la difficulté demeure, car les arguments en sens opposé semblent au théologien l’emporter. Devant une affirmation à laquelle il ne pense pas pouvoir donner son adhésion intellectuelle, son devoir est de rester disponible pour un examen plus approfondi de la question. »(Donum Veritatis 29-31)
La congrégation pour la doctrine de la foi admet donc qu’il peut arriver qu’un catholique bien formé constate ce qui lui semble être une erreur dans un acte magistériel non-infaillible. Si après avoir essayé de réconcilier cette erreur apparente avec l’ensemble de la Tradition catholique (herméneutique de la continuité), il n’y parvient toujours pas, alors il peut alors suspendre son assentiment intérieur à cet enseignement.
Les théologiens reconnus par l’Eglise confirment eux aussi cette possibilité de refuser de donner son assentiment au magistère non-infaillible pour des raisons graves.
Franciscus Diekamp, grand théologien catholique allemand (1864-1943), professeur de théologie dogmatique à Münster écrivait par exemple dans son manuel de théologie dogmatique : « Ces actes non-infaillibles du magistère du pontife romain n’obligent pas à croire, et ne postulent pas une soumission absolue et définitive. Mais il est du devoir de chacun d’adhérer d’un assentiment religieux et intérieur à de telles décisions, en tant qu’elles constituent des actes du magistère suprême de l’Eglise, et sont fondées sur de solides raisons naturelles et surnaturelles. L’obligation d’y adhérer ne pourrait prendre fin que dans le cas, rarissime, où un homme, apte à juger cette question, après une analyse répétée et très fouillée de tous les arguments, parvient à la conviction qu’une erreur s’est glissée dans la décision » (Diekamp, Theol. dogm. man., vol. I, p. 72)
Benedict Heinrich Merkelbach Théologien moraliste dominicain (1871-1942), professeur à Louvain et à Rome expliquait lui aussi que « quand l’Église n’enseigne pas avec son autorité infaillible, la doctrine proposée n’est pas de soi irréformable ; c’est pourquoi, si per accidens, dans une hypothèse qui est vraiment très rare, après un examen particulièrement attentif de la question, quelqu’un voit qu’il existe des motifs très graves pour refuser la doctrine ainsi proposée, l’on serait en droit, sans tomber dans la témérité, de suspendre l’assentiment intérieur [ … ] »(Merkelbach, Summa theol. mor., vol. 1, p. 601. )
Dominico Palmieri, Théologien jésuite italien (1829-1909), auteur du « Tractatus de Romano Pontifice » enseignait également: « Il s’agit également de savoir quel type d’obéissance est dû au Pontife romain qui enseigne quelque chose sur la doctrine de la foi ou qui s’y rapporte, lorsque cela n’est pas défini ex Cathedra, et quel type d’obéissance est dû aux sentences doctrinales des congrégations des cardinaux. […] On peut en effet discerner que le Pontife Romain ne parle pas à chaque fois ex Cathedra ; lorsqu’en effet il enseigne quelque chose, n’ayant cependant pas l’intention d’imposer l’obligation de la croire comme quelque chose devant être tenu par toute l’Église, s’il ne signifie pas qu’il le veut, alors on ne dit pas qu’il parle ex Cathedra, même s’il parle de doctrine au sujet de la foi ou de la morale. […] car, la certitude de l’infaillibilité n’existant pas, on remarque que l’erreur n’est pas impossible, et on remarque donc qu’il est possible que le contraire soit vrai. » (Dominico Palmieri SJ, 1891, Thesis XXXII, Scholion II De Romano Pontifice, 1891)
Christianus Pesch, grand dogmaticien catholique (fin XIXᵉ début XXᵉ siècle)précise lui aussi « On doit donner son assentiment aux décrets des Congrégations romaines, tant qu’il n’est pas devenu positivement évident qu’elles se sont trompées. Puisque les Congrégations, en elles-mêmes, ne fournissent pas une preuve absolument certaine en faveur d’une doctrine donnée, il est permis, voire nécessaire, d’examiner les raisons de cette doctrine. Ainsi, il arrivera soit que cette doctrine soit progressivement reçue dans toute l’Église, atteignant de cette manière la condition de l’infaillibilité, soit que l’erreur soit peu à peu décelée. En effet, comme l’assentiment religieux dont il est question ne repose pas sur une certitude métaphysique, mais seulement sur une certitude morale et générale, il n’exclut pas toute suspicion d’erreur. C’est pourquoi, dès que surgissent des motifs suffisants de doute, l’assentiment doit être prudemment suspendu. Néanmoins, tant que de tels motifs de doute ne se présentent pas, l’autorité des Congrégations suffit pour obliger à donner son assentiment. Les mêmes principes s’appliquent sans difficulté aux déclarations que le Souverain Pontife fait sans engager son autorité suprême, ainsi qu’aux décisions des autres supérieurs ecclésiastiques qui ne sont pas infaillibles. » (Pesch, Praelectiones dogmaticae, no. 521, 1:314–15)
Van Noort Théologien néerlandais (1861-1946), professeur de dogmatique à Warmond, écrit également dans son ouvrage monumental Dogmatic Theology : «Il peut être utile d’ajouter quelques points concernant des opinions purement théologiques — des opinions relatives au pape lorsqu’il ne parle pas ex cathedra. Tous les théologiens admettent que le pape peut commettre une erreur en matière de foi et de morale lorsqu’il s’exprime ainsi : soit en proposant une opinion fausse sur une question encore non définie, soit en différant innocemment d’une doctrine déjà définie. Les théologiens ne s’accordent pas, toutefois, sur la question de savoir si le pape peut devenir un hérétique formel en s’obstinant dans une erreur sur une matière déjà définie. L’opinion la plus probable, suivie par Suarez, Bellarmin et bien d’autres, soutient que, de même que Dieu n’a jusqu’à ce jour jamais permis qu’une telle chose se produise, il ne permettra jamais qu’un pape devienne un hérétique formel et public. Néanmoins, certains théologiens compétents concèdent que le pape, lorsqu’il ne parle pas ex cathedra, pourrait tomber dans l’hérésie formelle. »(Dogmatic Theology, volume II : Christ’s Church, p. 294)
Enfin, Ludwig Ott, Théologien catholique allemand, professeur à Eichstätt, auteur du manuel incontournable « Fundamentals of Catholic Dogma » conclut: « En ce qui concerne l’enseignement doctrinal de l’Église, il faut bien noter que toutes les affirmations de l’Autorité enseignante de l’Église sur les questions de foi et de morale ne sont pas infaillibles et, par conséquent, irrévocables. Ne sont infaillibles que celles qui émanent des conciles généraux représentant l’épiscopat tout entier, ainsi que les décisions pontificales ex cathedra… La forme ordinaire et habituelle de l’activité enseignante du pape n’est pas infaillible. En outre, les décisions des congrégations romaines (Saint-Office, Commission biblique) ne sont pas infaillibles. Néanmoins, elles doivent normalement être acceptées avec un assentiment intérieur fondé sur la haute autorité surnaturelle du Saint-Siège… Le silentium obsequiosum, c’est-à-dire le « silence respectueux », ne suffit généralement pas. Par exception, l’obligation d’un assentiment intérieur peut cesser si un expert compétent, après un examen scientifique renouvelé de tous les fondements, en vient à la conviction positive que la décision repose sur une erreur. »(Fundamentals of Catholic Dogma, p. 10)
Quant à la possibilité de rendre l’affaire publique, il ne semble pas exclu que dans certaines circonstances (en particulier dans l’hypothèse où un Pape contredirait une doctrine qui a déjà été enseignée avec une autorité supérieure par ses prédécesseurs), l’urgence du mal qui se diffuse, puisse légitimer une prise de position publique, en gardant le respect dû à l’autorité légitime.
- Nous nous appuyons sur les travaux de l’abbé Bernard Lucien, Les degrés d’autorité du magistère, La Nef, 2007 ↩︎