Chantal Delsol versus la doctrine catholique

Nous avons démontré dans un article précédent qu’il est impossible d’être catholique et d’être favorable à la légalisation de l’avortement.1 L’Eglise catholique enseigne en effet que « l’avortement est un crime abominable, en même temps que l’infanticide. »2et que « L’avortement et l’euthanasie sont donc des crimes qu’aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer. » (Evangelum Vitae 73).

Malgré la clarté de l’enseignement catholique sur la nécessité d’abolir l’avortement partout dans le monde, certains catholiques modernes ne se gênent pas à défendre publiquement la thèse inverse, s’opposant ainsi à l’enseignement de leur propre Eglise. Chantal Delsol, philosophe catholique très réputée en France fait partie de cette nouvelle tendance.

Dans son livre La fin de la chrétienté paru tout récemment (2022), elle écrit :« Les chrétiens sont aujourd’hui voués à devenir les soldats d’une guerre perdue. Leurs combats, notamment sur les questions sociétales, n’aboutissent à rien et d’ailleurs n’ont aucune chance d’aboutir. Je ne suis pas sûr qu’ils l’aient bien compris. Les chrétiens qui manifestent inlassablement pour tenter d’empêcher des lois scélérates sur l’IVG ou la PMA, ne pourraient réussir qu’en mettant en œuvre préalablement une révolution spirituelle. Convertissez les peuples au christianisme, à la dignité intrinsèque de chaque embryon, et ensuite vous pourrez abolir l’IVG. Vouloir le faire en sens inverse, ce serait comme vouloir imposer la confession à des peuples non catholiques : une ânerie terroriste. La croyance et l’adhésion aux principes, précède l’acceptation des lois. On ne pourrait convaincre les gens d’abandonner l’IVG qu’en les convaincant de la sacralité de l’enfant à naître […]. Seul un gouvernement dictatorial ou totalitaire se permet d’ériger des lois qui ne correspondent pas aux convictions profondes des citoyens. Aussi les chrétiens ne peuvent-ils manifester contre l’IVG ou la PMA, qu’en vertu du principe de conviction : afin de montrer qu’ils existent en tant que témoins d’une croyance devenue marginale.[…] Quand on est minoritaire, la tolérance n’est plus une vertu mais une nécessité d’état »3

Elle avait aussi affirmé sur un plateau télé: « On ne peut pas avoir la volonté de changer les lois, […] Cela ne sert à rien d’empêcher une femme d’avorter si elle ne croit pas à la dignité substantielle d’un embryon. Si elle n’y croit pas, ça ne sert absolument à rien de lui imposer des lois. Vous allez faire de la dictature là.»4

Malheureusement, les propos de Madame Delsol sont intenables intellectuellement. En effet, elle retombe dans l’erreur que nous avons longuement dénoncée à travers notre livre La raison est pro-vie : penser que l’avortement est une question essentiellement religieuse. Nous avons démontré que ce n’est pas le cas. Point besoin que les gens se « convertissent au christianisme » pour reconnaître que la destruction intentionnelle d’un être humain innocent est immoral. C’est précisément cette erreur qui lui fait conclure que vouloir abolir l’avortement dans une société non chrétienne serait équivalent à vouloir convertir les gens de force au christianisme. Selon elle, le combat pro-vie que nous menons (qui vise à abolir l’avortement) serait comparable à une « ânerie terroriste » que seul un « gouvernement dictatorial ou totalitaire » pourrait réaliser.

L’accusation est choquante ! Chantal Delsol, qui s’affirme catholique, pense-t-elle vraiment que l’enseignement de sa propre Église sur la nécessité de rendre l’avortement illégal partout dans le monde est une « ânerie terroriste » ? Saint Jean-Paul II est-il le précurseur d’un « gouvernement totalitaire et dictatorial » lorsqu’il demande à ce que l’avortement soit aboli partout dans le monde ?5

Soyons sérieux. Il est absurde de soutenir que vouloir la protection légale des enfants in utero impliquerait qu’il faille d’abord convertir les gens de force en leur imposant la foi. Imaginez si au XIXème siècle (époque où l’esclavage était encore légal) quelqu’un osait dire que vouloir abolir l’esclavage avant d’avoir converti les gens au christianisme serait une « ânerie terroriste » car cela serait une loi qui « ne correspondrait pas aux convictions profondes des citoyens ». On pourrait manifester pacifiquement contre l’esclavage qu’en vertu du « principe de conviction » afin de montrer que l’on existe « en tant que témoin d’une croyance marginale », mais sans œuvrer avec force pour une abolition totale et définitive de l’esclavage des noirs.

Que dirait Madame Delsol d’une telle proposition ? Après tout d’après elle, « quand on est minoritaire, la tolérance est une nécessité d’état ». S’il on applique son raisonnement, il aurait fallu respecter l’avis des esclavagistes du XIXème qui pensaient différemment avant de pouvoir faire quoi que ce soit au niveau légal. On ne pourrait convaincre les esclavagistes d’abandonner l’esclavage qu’en les convaincant de l’égalité entre les blancs et des noirs. Mais cette position est évidemment absurde ! On n’a pas à « attendre » que les esclavagistes deviennent petit à petit convaincus de l’immoralité de l’esclavage avant de leur interdire légalement de posséder un esclave. De même, nous n’avons pas à « attendre » que la majorité de la population française devienne convaincue qu’il est immoral de démembrer des enfants in utéro, avant d’interdire l’exécution des bébés dans le ventre de leur mère. Comme le disait Martin Luther King : « La morale ne peut être légiférée, mais le comportement des gens peut être régulé. Les décrets judiciaires ne changeront peut-être pas les cœurs, mais ils restreindront ceux qui n’ont pas de cœur »6

Conclusion :

En conclusion, contrairement à ce que professe Chantal Delsol, les catholiques sont dans l’obligation d’être contre l’avortement non seulement à titre personnel, mais à titre général. Ils doivent lutter contre l’avortement au sein de la société en vue de son abolition. Vous n’avez pas besoin d’être catholique pour être contre l’avortement. En revanche, si vous vous revendiquez catholique, vous devez nécessairement vous opposer à l’avortement politiquement.


  1. https://matthieulavagna.fr/peut-on-etre-catholique-et-pour-lavortement/ ↩︎
  2. Gaudium et spes 51,3 ↩︎
  3. Chantal Delsol, La fin de la chrétienneté, Editions du Cerf, 2021, p. 153-163. ↩︎
  4. Interview sur TV Libertés https://www.youtube.com/watch?v=4hhKt3LclWA 8min08 ↩︎
  5. « L’avortement et l’euthanasie sont donc des crimes qu’aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer. » (Evangelum Vitae 73). ↩︎
  6. Martin Luther King Jr. Strength to love, p33 ↩︎

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