
Introduction
De quand datent les évangiles? Voilà une question historique passionnante qui a des implications importantes pour l’historicité de la religion chrétienne!
Au niveau universitaire, il existe aujourd’hui globalement deux positions:
•La position conservatrice qui affirme que les évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) ont été écrits dans les années 50 à 60 et Jean vers 90.
•La position libérale qui affirme que les évangiles ont été écrits entre 70 et 95. Plus précisément, la position libérale enseigne que Marc aurait été écrit vers 70, Matthieu et Luc vers 80-85 et Jean vers 90-95.

Bart Ehrman, historien athée/agnostique, représentant typique de la position libérale affirme en ce qui le concerne: « Les spécialistes datent généralement les évangiles dans leur version grecque à la fin du premier siècle; Marc étant probablement le premier évangile, écrit vers 70 de notre ère, Matthieu et Luc un peu plus tard, peut-être vers 80-85 de notre ère, et Jean en dernier lieu, vers 90-95 de notre ère »1
Dans tous les cas, ce sont des dates très primitives!
Même s’il on adoptait la position libérale (entre 70 et 95) cela resterait des dates très primitives (à peine 40 après la mort de Jésus pour Marc et 65 après pour Jean).
C’est comme si aujourd’hui (en 2024) quelqu’un ayant connu directement ou indirectement Georges Pompidou ou Valéry Giscard d’Estaing écrivait une biographie sur leur vie.
En comparaison, nos meilleures biographies sur la vie d’Alexandre le Grand (Arrien et Plutarque) datent de plus de 400 ans après sa mort!
Ainsi, les évangiles ont été rédigées très peu de temps après les faits par rapport aux standards de l’Antiquité (même si la position libérale était vraie).
=> Toutefois, nous allons montrer pourquoi la position libérale fait erreur en ce qui concerne la datation des synoptiques. Nous allons défendre que les évangiles de Matthieu Marc et Luc ont été écrits dans les années 50-60.
Datation primitive des Evangiles synoptiques
1er argument: Les évangiles ne mentionnent pas la destruction du Temple de Jérusalem qui a eu lieu en aout 70

Les évangiles synoptiques mentionnent Jésus qui annonce que le Temple de Jérusalem sera détruit à l’avenir mais jamais sa destruction:
« Comme Jésus sortait du Temple, un de ses disciples lui dit : « Maître, regarde : quelles belles pierres, et quelles constructions ! » Mais Jésus lui dit : « Vois-tu ces grandes constructions ? Il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit renversée. » »(Marc 13, 1-2)
« Jésus était sorti du Temple et s’en allait, lorsque ses disciples s’approchèrent pour lui faire remarquer les constructions du Temple. Alors, prenant la parole, il leur dit : « Vous voyez tout cela, n’est-ce pas ? Amen, je vous le dis : il ne restera pas ici pierre sur pierre ; tout sera détruit. »(Matthieu 24,1-2) Voir aussi Luc 19,41-44
Or, la destruction du Temple de Jérusalem a eu lieu en aout 70 et les évangélistes ne disent pas que cet évènement s’est réalisé! Ils se contentent de retranscrire les propos de Jésus qui l’annonce. Ceci est révélateur car on imagine bien que les évangélistes se seraient fait une joie d’exprimer leur satisfaction de voir cette prophétie se réaliser.
Si les Évangiles avaient été écrits après l’an 70, on imagine bien les évangélistes écrire quelque chose du genre : « Et cette prophétie se réalisa X années plus tard », afin d’appuyer la messianité de Jésus. Mais ils ne font rien de tel ; ils se contentent de retranscrire les paroles de Jésus qui l’annoncent.
L’historien Charles Torrey commente: « Il aurait été peut-être concevable qu’un évangéliste écrivant après l’an 70 ait pu omettre de faire allusion à la destruction du Temple par les armées romaines […], mais que trois (ou quatre) évangélistes aient pu oublier d’y faire allusion, cela paraît assez incroyable. »2
Cette absence est d’autant plus bizarre que les évangélistes avaient par ailleurs l’habitude de mentionner quand un évènement annoncé s’est produit.3
2) Présence d’avertissements pour la destruction du Temple à venir
Autre élément révélateur: Luc rapporte les propos de Jésus qui annonce à ses disciples ce qu’il faudra faire lorsque le temple sera détruit: « Alors, ceux qui seront en Judée, qu’ils s’enfuient dans les montagnes ; ceux qui seront à l’intérieur de la ville, qu’ils s’en éloignent ; ceux qui seront à la campagne, qu’ils ne rentrent pas en ville» (Luc 21,21)
On retrouve un commandement similaire chez Marc «que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes » (Mc 13,14).
Matthieu, rapporte aussi les propos de Jésus qui affirme qu’il faut « prier pour cela n’arrive pas l’hiver ou un jour de shabbat » (Mt 24,20) Voir aussi (Mc 13,18)
Or ces rappels n’auraient aucun sens si l’évènement de la destruction du Temple avait déjà eu lieu! Il n’y aurait alors plus besoin de prévenir les chrétiens de ce qu’ils devraient faire quand celle-ci aurait lieu!
Il n’est pas logique que Luc ajoute un avertissement concernant l’interdiction d’entrer dans Jérusalem si la ville était déjà détruite.
On ne comprend pas non plus pourquoi Matthieu ou Marc rapporteraient les propos de Jésus les incitant à prier pour un évènement ayant déjà eu lieu.
L’historien Brant Pitre commente: « Réfléchissez y une minute. Pourquoi Marc expliquerait-il à ses lecteurs qu’il faut prier que la destruction du Temple n’ait pas lieu l’hiver s’il savait qu’elle avait eu lieu à la fin de l’été? (Le Temple a été détruit début août de l’an 70). Pourquoi Luc préviendrait-il ses lecteurs de ne pas « entrer dans la ville » si la ville avait déjà été détruite? Enfin, pourquoi est-ce que Matthieu ajouterait qu’il faut prier que la destruction n’ait pas lieu en hiver ou pendant le Shabbat si elle avait déjà eu lieu? Pourquoi ajouter une incitation à prier pour qu’un évènement n’ait pas lieu, si cet évènement a déjà eu lieu et était largement connu? »4
=> Tous ces indicateurs confirment que le Temple n’avait pas encore été détruit au moment où les synoptiques ont été écrits.
3) Instructions sur les sacrifices au Temple
Ajoutons que Matthieu mentionne un passage où Jésus parle de se réconcilier avec une personne que l’on a offensée avant de faire son offrande à l’autel du Temple: « Si donc tu présentes ton offrande à l’autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère; puis, viens présenter ton offrande. » (Mt 5,23-24)
Or, il aurait été parfaitement inutile de la part de l’évangéliste de mentionner cette information si le temple avait déjà été détruit car plus personne ne pourrait offrir des offrandes sur l’autel du Temple!
4) Instructions sur le fait de jurer devant le Temple
Même chose en Mt 23,16-21 Jésus donne des instructions sur le fait de jurer devant l’autel du temple: « Si quelqu’un jure par le temple, ce n’est rien; mais, si quelqu’un jure par l’or du temple, il est engagé[…] celui qui jure par le temple jure par le temple et par celui qui l’habite » (Mt 23,16-21)
Si la destruction du Temple avait déjà eu lieu au moment de la rédaction de l’évangile, ces instructions n’auraient plus aucun sens car personne ne serait en mesure les de suivre. Et si Matthieu (écrivant après 70) voulait juste retranscrire les paroles de Jésus au plan historique, il aurait dû mentionner que ces commandements n’étaient plus d’actualité (le Temple ayant déjà été détruit).
5) Payer les impôts au Temple
Autre indicateur qui va dans ce sens: en Matthieu 17:24-27, Jésus dit à Pierre de payer les impôts au temple. Or il est difficile de croire que Matthieu écrit ce passage après 70 parce Flavius Josèphe nous dit qu’après cette date les Romains demandaient aux juifs de payer l’impôt non pas pour le Temple de Jérusalem, mais pour le Temple de Jupiter à Rome. (Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, 7.6.6 §218 ) Voir aussi: Suétone, La Vie des Douze Césars, Domitien 12.) Par conséquent, si Matthieu écrivait après 70 en mentionnant ce commandement de payer l’impôt au Temple, cela reviendrait à faire la promotion du Temple du Dieu païen Jupiter!
Robert Gundry, spécialiste du Nouveau Testament, explique donc pourquoi ce passage est significatif :« Le passage [de Matthieu 17:24-27] enseigne que les chrétiens juifs ne doivent pas contribuer au rejet de l’Évangile chez les juifs en refusant de payer l’impôt du Temple. Cette exhortation ne montre pas seulement le souci de Matthieu d’évangéliser les Juifs. En effet, après la destruction du temple de Dieu à Jérusalem, les Romains ont transféré l’impôt au temple de Jupiter à Rome (Josèphe J.W. 7.6.6 §218 ; Dio Cassius 65.7 ; Suétone Dom. 12.)[…] Matthieu n’inclut certainement pas ce passage pour soutenir l’entretien d’un temple païen, car cela impliquerait de promouvoir un dieu païen !»5
6) La première épitre à Timothée cite l’évangile de Luc
Un autre argument en faveur de la datation précoce des évangiles est que l’on sait que l’Évangile de Luc fut écrit avant la première Épître à Timothée de Paul, car le verset 1 Tim 5, 18 cite l’Évangile de Luc (10, 7) et s’y réfère comme étant « l’Écriture ». Cela signifie donc que l’Évangile de Luc existait avant que Paul n’écrive cette épître et était déjà considéré comme « l’Écriture »! Or, Paul est mort décapité vers l’an 65 (ou 67) ; il a donc dû écrire son épître avant cette date, ce qui fait remonter l’Évangile de Luc au plus tard au début des années 60 (et Matthieu et Marc avant cela).6
7) La datation des Actes des apôtres permet de dater les évangiles
Le dernier argument que nous allons présenter en faveur de la datation précoce des évangiles synoptiques est que les Actes des apôtres ont été rédigés après les évangiles synoptiques et qu’il existe de bonnes raisons de dater les Actes au début des années 60. Voyons ces deux affirmations.
A) Les Actes des apôtres ont été rédigés après les synoptiques
Nous savons que les Actes furent écrits après l’Évangile de Luc, car les deux s’adressent à la même personne Théophile (Ac 1, 1 ; Lc 1, 1-4) et Luc dit qu’il s’agit de son second livre (Ac 1, 1). Il y a aussi un consensus chez les experts affirmant que l’évangile de Luc fut écrit après l’évangile de Marc et de Matthieu puisque Luc commence son Évangile en affirmant que d’autres Évangiles ont été écrits avant lui: «Plusieurs ayant entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous » (Luc 1) L’ordre d’écriture entre Matthieu et Marc est sujet à débat (même si la thèse de la primauté de Marc est aujourd’hui majoritaire).
=> Dans tous les cas nous avons l’ordre de rédaction suivant: Marc puis Matthieu (ou Matthieu puis Marc) ; puis Luc et enfin les Actes.
Mais de quand datent les Actes?
B) Il est très probable que les Actes datent du début des années 60.
i) L’argument fondé sur la finale des Actes
La fin des Actes est assez révélatrice. Tout se centre sur le personnage de Paul les huit derniers chapitres racontant ses diverses péripéties, avant de s’arrêter brutalement quand Paul arrive à Rome. Actes 28, 30 affirme qu’une fois à Rome, Paul y resta deux ans avant son procès. Et le livre des Actes s’arrête presque aussitôt, sans nous donner le verdict du procès, ni même parler de la mort de Paul qui eut lieu vers 65. Rien du tout.
L’explication logique de cela est que le procès n’avait pas encore eu lieu. En effet, vu le suspens culminant jusqu’à la fin des Actes, il aurait été logique pour Luc de mentionner si Paul avait été condamné ou non. S’il avait été condamné, Luc en aurait sûrement profité pour décrire le glorieux martyre de Paul et ses souffrances pour le Christ ; et s’il avait été relâché, Luc aurait sûrement mentionné sa lutte glorieuse contre le tribunal. De plus, d’autres sources historiques indiquent que Paul a été relâché (Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, livre II, chap. 22, 1-2.). Pourquoi donc Luc aurait-il choisi de rester silencieux à ce sujet ? La réponse la plus logique est que le procès était en cours.
L’exégète libéral Adolf von Harnack commente : « Tout au long des huit derniers chapitres [des Actes], Luc garde ses lecteurs intensément intéressés par le déroulement du procès de saint Paul, et il finit par le décevoir complètement. Le lecteur n’apprend rien du résultat final du procès ! […] Il semble désespéré que nous puissions expliquer pourquoi le récit s’interrompt ainsi, autrement qu’en supposant que le procès n’était pas encore arrivé à son terme. […] Si Luc écrivait ainsi en l’an 80, 90 ou 100, il serait non seulement un historien maladroit mais un historien absolument incompréhensible ! […] Nous devons donc conclure que les derniers versets des Actes des Apôtres, pris en conjonction avec l’absence de toute référence au résultat du procès de saint Paul et à son martyre, impliquent très probablement que l’ouvrage a été écrit à une époque où le procès de saint Paul à Rome n’était pas encore terminé» (Adolf von Harnack, The Date of the Acts and the Synoptic Gospels, 1911)
Les Actes des Apôtres ont donc probablement été écrits deux ans après l’emprisonnement de Paul. Or, les historiens considèrent que Paul est arrivé à Rome vers l’an 60 ce qui fait remonter la rédaction des Actes avant l’an 62.
On notera que la libération de Paul en 62 est bien attestée par la Tradition primitive (voir Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, livre III, chap. 22, 7, ainsi que le fragment muratorien, 38-41). Donc si elle avait eu lieu avant la rédaction des Actes, Luc n’aurait pas omis de le mentionner.
ii) Un autre indicateur en faveur d’une rédaction des Actes au début des années 60. Le langage utilisé dans les Actes des Apôtres indique qu’ils ont été écrits dans un temps précédant la grande persécution de 64
La première grande persécution des chrétiens eut lieu sous Néron en 64. Durant ces persécutions, les chrétiens ont été crucifiés, brûlés, jetés à des chiens affamés, comme le rapporte l’historien romain Tacite (Annales, 15, 44 et La Vie de Néron 44-45).
Il est parfaitement impensable que Luc eût omis de mentionner ces atroces persécutions dans le livre des Actes, si elles avaient déjà eu lieu. Cela aurait été une occasion rêvée d’insister sur la bravoure des chrétiens martyrisés pour leur foi en Jésus.
De plus, lorsqu’on regarde les écrits chrétiens datant d’après 64, on remarque souvent qu’ils manifestent une certaine colère face aux Romains qui les persécutaient. Rien de cela dans les Évangiles ou dans les Actes des Apôtres qui, au contraire, ont une attitude sympathique envers Rome.
Dire du bien des Romains après la grande persécution serait équivalent à dire du bien des Allemands juste après 1945. Il est donc probable que les Évangiles et les Actes aient été écrits avant l’an 64.
D’ailleurs on voit d’ailleurs que les livres du Nouveau Testament écrits après 64 mentionnent cette persécution (Ap 2,10 ; 13,7)
On constate aussi que contrairement aux synoptiques, l’évangile de Jean n’émet pas de parole positive envers les Juifs et les Romains (probablement parce qu’il fut écrit après cette période).
iii)Une absence de martyre des personnages les plus importants dans les Actes
Autre élément frappant: les Actes des Apôtres ne mentionnent ni le martyre de Jacques le Juste qui eut lieu en 61-62, ni celui de l’autre héros des Actes, Pierre (vers 64).
Si les Actes avaient été écrits plus tard, on ne voit pas pourquoi l’auteur (Luc) aurait voulu laisser le lecteur en suspens sans mentionner le sort final de Paul et omettre complètement les martyres de Pierre et Jacques le Majeur, d’autant plus que les martyres d’Étienne (Ac 7) et de Jacques le Mineur (Ac 12, 1-2), eux, sont mentionnés.
Les Actes ne mentionnent pas non plus la guerre entre Juifs et Romains qui se déroula en 66, ni la persécution sous Néron (qui eut lieu en 64), ni la destruction du Temple de Jérusalem (en 70). Tout cela est impensable si les Actes avaient été écrits dans les années 80 comme veulent le faire croire les libéraux!
L’éxégète Adolphe Von Harnack était bien obligé de conclure: « Le silence absolu de Luc sur tout ce qui s’est passé entre les années 64 et 70 est un argument de poids en faveur de l’hypothèse d’une rédaction avant l’an 64. » (Adolf von Harnack, The Date of the Acts and the Synoptic Gospels, 1911)
Conclusion pour la datation des synoptiques
Etant donné que l’on peut raisonnablement dater les Actes vers l’an 62, l’évangile de Luc doit remonter au tout début des années 60. Idem pour Matthieu et Marc qui peuvent être datés entre le début des années 50 et le début des années 60. Dans tous les cas, nous avons là des dates bien antérieures à l’an 70 et la thèse libérale largement répandue aujourd’hui se retrouve infondée.
Confirmation des dates par des sources externes: les premiers Pères de l’Eglise
1.St Irénée confirme que l’évangile de Matthieu a été écrit du vivant de Pierre et Paul

Saint Irénée, disciple de Polycarpe lui-même disciple de Jean était bien placé pour savoir quand et comment ont été écrits les évangiles. Et ce dernier écrit: « Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d’Évangile, à l’époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l’Église.» (Contre les Hérésies III, 1)
Or Pierre est mort en 64 et Paul en 65 (ou 67).
Donc les évangiles ont donc été écrits avant cette date.
2.Origène (185-253) confirme que Luc a été écrit du vivant de Paul

Origène quant à lui enseigne: « Le troisième est celui selon Luc, l’Évangile loué par Paul et composé pour les gentils. » (Cité dans Histoire Ecclésiastique 6,25,6)
Or Paul est mort en 65 (ou 67). Donc l’Evangile de Luc remonte bien au début des années 60, ce qui coïncide parfaitement avec les arguments développés précédemment.
3.Clément d’Alexandrie (vers 200) confirme quant à lui que l’évangile de Marc a été écrit du vivant de Pierre (c’est-à-dire avant 64)

«Marc, disciple de Pierre, alors que Pierre prêchait publiquement l’Évangile à Rome en présence de quelques chevaliers de César et qu’il rendait de nombreux témoignages sur le Christ, sur leur demande de lui laisser un enregistrement des choses qui avaient été dites, a écrit l’Évangile qui est appelé Évangile de Marc à partir des choses dites par Pierre » (Rapporté dans Histoire Ecclésiastique VI,14,5-7)
En résumé: il existe beaucoup d’arguments pour une datation précoce!
1) L’argument fondé sur l’absence de mention de la destruction du Temple de Jérusalem
2) L’argument fondé sur la présence d’avertissements pour la destruction du Temple à venir
3) Les instructions sur les sacrifices du Temple
4) Les instructions sur le fait de jurer devant le temple
5) Le paiement d’impôts au temple
6) La première épitre à Timothée (5,18) écrite par Paul (écrite avant 65) cite l’évangile de Luc (10,7)
7) L’argument fondé sur la datation des Actes au début des années 60 (Les Actes ont été écrits après les évangiles synoptiques)
A) Absence du martyre de Pierre (vers 64)
B)Absence du martyre de Paul (vers 65)
C)Absence du martyre de Jacques (vers 62)
D) La fin brutale du livre des Actes ne dévoilant pas le résultat du procès de Paul deux ans après son arrivée à Rome (vers 62)
E) L’absence de mention de la persécution des chrétiens sous Néron vers 64
F) L’absence de mention de la guerre entre les Juifs et les Romains vers 66
G)L’absence de référence à la destruction du Temple de Jérusalem
8) La confirmation par les Pères de l’Eglise qui affirment que Matthieu, Marc et Luc écrivaient du vivant de Pierre et Paul (c’est-à-dire avant 64)
Et Jean alors?
En ce qui concerne l’Évangile de Jean, la plupart des historiens pensent qu’il fut rédigé plus tard, vers l’an 90. En revanche, certains historiens penchent pour une datation plus ancienne (avant 70).

L’une des raisons invoquées pour cette datation plus ancienne est le fait que Jean parle au présent lorsqu’il décrit la fameuse piscine de Bethesda (dont les ruines ont été retrouvées), sous-entendant qu’elle existait encore à l’époque où il écrivait: « Or, à Jérusalem, près de la porte des Brebis, il y a une piscine qui s’appelle en hébreu Béthesda, et qui a cinq portiques. » (Jn 5, 2)
Le mot grec pour « est » (estin) est au présent, indiquant un état de choses actuel : Jean affirme que la piscine de Béthesda, avec ses cinq portiques, existe à Jérusalem à l’époque où il écrit.
D’après l’historien Daniel Wallace, Jean n’aurait pas pu parler ainsi après la chute de Jérusalem, car l’historien juif Flavius Josèphe, rapporte que le général romain Titus « ordonna de raser toute la ville et le temple, ne laissant que les tours les plus élevées, Phasaël, Hippique et Mariamme, et la partie de la muraille qui entourait la ville à l’ouest » (Guerre des Juifs 7:1:1-2).
Par conséquent, il existe des raisons de penser que la piscine n’existait plus après 70 ce qui fait remonter l’évangile de Jean avant l’an 70. (Voir Daniel B. Wallace, John 5,2 and the Date of the Fourth Gospel, disponible sur internet John 5,2 and the Date of the Fourth Gospel on JSTOR)
=> Dans tous les cas, même en admettant que cet argument n’est pas décisif, Jean était le plus jeune des apôtres (il avait une quinzaine d’années au début du ministère de Jésus vers l’an 27) et la Tradition rapporte qu’il mourut plus vieux que tous les autres. Il est donc tout à fait possible qu’il ait vécu jusqu’à la fin du premier siècle et donc la datation habituelle vers l’an 90 ne poserait aucun problème.
Conclusion
•En conclusion, nous avons de bonnes raisons de penser que les évangiles synoptiques Matthieu Marc et Luc et les Actes des Apôtres ont été écrits entre 50 et 62, c’est-à-dire environ 20-32 ans après la mort de Jésus.
C’est comme si l’on écrivait aujourd’hui (en 2024) sur des évènements ayant eu lieu en dans les années 1990 ou au début des années 2000. Cela renforce leur crédibilité historique et montre qu’il ne s’agit pas de légendes tardives inventées de toutes pièces!
- Bart Ehrman, Did Jesus exist?,HarperOne 2012 ↩︎
- C. C. Torrey, The Apocalypse of John, New Haven, Yale University Press, 1958, p. 86 ↩︎
- Dès que les quatre évangélistes mentionnent Judas, ils ajoutent qu’il finira par trahir Jésus. Les Actes des Apôtres (11, 28) annoncent une future famine et Luc n’oublie pas de préciser : « Celle-ci a eu lieu sous l’empereur Claudius », afin d’appuyer le fait que l’événement s’est réalisé.
De même pour le moment où Jésus annonce qu’il relèvera le Temple en trois jours. Les évangélistes prennent soin de préciser : « Mais le sanctuaire dont Jésus parlait, c’était son propre corps. »
Bref, il y a cette attitude typique des évangélistes de dire si les événements ont eu lieu ou non, et on ne retrouve rien de tel pour l’événement majeur de la destruction du Temple. ↩︎ - Brant Pitre, The case for Jesus, 2021,p.93-94 ↩︎
- (https://crossexamined.org/13-good-historical-reasons-for-the-early-dating-of-the-gospels/) ↩︎
- Certes les historiens libéraux objectent souvent que la première épitre à Timothée n’est pas de Paul. Mais il existe de bonnes raisons historiques de maintenir que Paul en est bien l’auteur:
1) L’épitre affirme très clairement avoir Paul pour auteur dès le début: « Paul, apôtre de Jésus-Christ, par ordre de Dieu notre Sauveur et de Jésus-Christ notre espérance. Timothée, mon enfant légitime en la foi: que la grâce, la miséricorde et la paix, te soient données de la part de Dieu le Père et de Jésus-Christ notre Seigneur! » (1 Tim 1,1)
2) Polycarpe, disciple de saint Jean, cite lui-même cette épître dans sa lettre aux Philippiens écrite très tôt (entre l’an 110 et 120) et mentionne quatre fois le nom de Paul.
3) Saint Irénée, écrivant quarante à cinquante ans plus tard, affirme-lui aussi explicitement que Paul est bien l’auteur de cette épître dans son ouvrage Contre les hérésies:
« Donc, après avoir fondé et édifié l’Église, les bienheureux apôtres remirent à Lin la charge de l’épiscopat ; c’est de ce Lin que Paul fait mention dans les épîtres à Timothée » (Contre les Hérésies, Livre III)
4) Les épîtres « pastorales » de Paul (Éphésiens, 1 & 2 Timothée, Colossiens, 2 Thessaloniciens, Tite) sont également citées par Clément d’Alexandrie (180 ap. J.-C.), Tertullien (220 ap. J.-C.) et Origène (230 ap. J.-C.).
5) Le canon Muratori (vers 170-180) énumère les livres du Nouveau Testament et attribue les trois épîtres pastorales à Paul.
6) Eusèbe de Césarée (vers 330) confirme que les treize autres épîtres canoniques de Paul sont incontestées (Histoire Ecclésiastique 3,3,5)
=> Le témoignage de l’Église primitive est donc assez clair. Les Pères de l’Église ont cité les épitres pastorales (dont 1 Timothée) comme faisant autorité, et ils reconnaissaient que saint Paul était bien l’auteur de ces épîtres. ↩︎