L’avortement en cas de danger de vie de la mère est-il permis?

Voilà le cas le plus difficile des cas difficiles. Il est particulièrement complexe car il touche à deux vies : celle de la mère et celle de l’enfant. Or nous devons garder en tête le principe enseigné par l’Eglise selon lequel il est toujours immoral de tuer directement et intentionnellement une personne humaine innocente. Saint Jean Paul II enseigne en effet:

« Avec l’autorité conférée par le Christ à Pierre et à ses Successeurs, en communion avec tous les évêques de l’Eglise catholique, je confirme que tuer directement et volontairement un être humain innocent est toujours gravement immoral. Cette doctrine, fondée sur la loi non écrite que tout homme découvre dans son cœur à la lumière de la raison (cf. Rm 2, 14-15), est réaffirmée par la Sainte Ecriture, transmise par la Tradition de l’Église et enseignée par le Magistère ordinaire et universel. La décision délibérée de priver un être humain innocent de sa vie est toujours mauvaise du point de vue moral et ne peut jamais être licite, ni comme fin, ni comme moyen en vue d’une fin bonne. » (Evangelium Vitae 57)

« Devant une pareille unanimité de la tradition doctrinale et disciplinaire de l’Eglise, Paul VI a pu déclarer que cet enseignement n’a jamais changé et est immuable.  C’est pourquoi, avec l’autorité conférée par le Christ à Pierre et à ses successeurs, en communion avec les Evêques — qui ont condamné l’avortement à différentes reprises et qui, en réponse à la consultation précédemment mentionnée, même dispersés dans le monde, ont exprimé unanimement leur accord avec cette doctrine —, je déclare que l’avortement direct, c’est-à-dire voulu comme fin ou comme moyen, constitue toujours un désordre moral grave, en tant que meurtre délibéré d’un être humain innocent. Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite ; elle est transmise par la Tradition de l’Eglise et enseignée par le Magistère ordinaire et universel. » (Evangelium Vitae 62)

Autrement dit, d’après le magistère de l’Eglise, tout avortement direct est exclu. Mais alors, ne doit-on pas intervenir ? Doit-on laisser la mère mourir? Evidemment, non. Reprenons les choses calmement.

Dans les cas de danger de vie de la mère, il faut distinguer deux étapes de la grossesse:

1) Si l’enfant est viable, il faut procéder à un accouchement provoqué ou à une césarienne. En effet, il serait mieux que l’enfant naisse prématuré, même s’il n’a qu’une petite chance de s’en sortir, plutôt qu’il soit tué par avortement.

2) Si l’enfant n’est pas viable, il est permis de réaliser une opération chirurgicale visant à sauver la mère tout en anticipant qu’une conséquence secondaire non voulue résultera inévitablement dans la mort de l’enfant.

Dans le cas 2), la position catholique se fonde sur le principe du double effet.

Le principe du double effet

Ce principe affirme que plusieurs conditions doivent être réunies pour qu’une action (sauver la mère) soit moralement justifiable même si elle entraîne un effet indésirable (comme la mort de son bébé). Quatre conditions doivent ainsi être réunies:

  1. L’action, elle-même, doit être bonne ou moralement neutre [c’est le cas d’une opération chirurgicale ordinaire]
  2. Le bon effet (sauver la mère) doit résulter directement de l’acte médical et non du mauvais effet (la mort du bébé) [c’est le cas ici]
  3. Le mauvais effet (la mort du bébé) ne doit pas être directement voulu, mais seulement anticipé et toléré comme une conséquence involontaire [condition à remplir]
  4. Il doit exister une raison proportionnée justifiant l’acceptation de l’effet mauvais [sauver la vie de la mère est bien une raison proportionnée].

Appliqué au cas présent, il est clair que sauver la mère est une raison proportionnelle sérieuse. Par conséquent l’intervention est moralement acceptable si la mort du bébé n’est pas intentionnellement voulue (ni comme fin ni comme moyen), pour sauver la mère. Cela nous aide à faire la distinction entre les avortements directs et les avortements indirects. L’avortement direct, est un avortement où la mort du fœtus résulte d’un acte direct à l’encontre de son intégrité. Un tel type d’avortement n’est donc jamais permis d’après la doctrine du double effet et d’après l’enseignement de l’Eglise. En revanche l’avortement indirect, lui, peut être moralement licite, car il ne tue pas intentionnellement le fœtus. Sa mort est une conséquence secondaire non voulue.

Ceci n’est pas la position de Matthieu Lavagna mais bien de l’Eglise elle-même. La congrégation pour la doctrine de la foi avait expliqué ce point en 2009:

« Quant à la problématique de traitements médicaux déterminés afin de préserver la santé de la mère, il faut bien faire la distinction entre deux tenants et aboutissants différents : d’une part une intervention qui provoque directement la mort du fœtus, appelée parfois de manière inappropriée avortement « thérapeutique », qui ne peut jamais être licite puisqu’il s’agit du meurtre direct d’un être humain innocent ; d’autre part, une intervention en soi non abortive qui peut avoir, comme conséquence collatérale la mort de l’enfant. Si, par exemple, la conservation de la vie de la future mère, indépendamment de son état de grossesse, requérait d’urgence une opération chirurgicale ou une autre action thérapeutique qui aurait pour conséquence accessoire, nullement voulue ou cherchée, mais inévitable – la mort de l’embryon, un tel acte ne pourrait plus être qualifié d’attentat direct à une vie innocente. Dans ces conditions, l’opération peut être licite, comme le serait d’autres interventions médicales similaires, pourvu toutefois qu’il s’agisse d’un bien de valeur élevée, comme la vie, et qu’il ne soit pas possible de renvoyer l’opération après la naissance de l’enfant, ni de recourir à un autre remède efficace). » (CLARIFICATION DE LA CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI SUR L’AVORTEMENT PROVOQUÉ, 2009)1

Voyons à présent comment mettre cela en pratique au niveau médical. Grâce aux technologies modernes, les cas de dangers pour la vie de la mère lorsque l’enfant n’est pas viable, sont assez rares. Aujourd’hui les cas où la mère est en danger avant le stade de la viabilité n’arrivent pratiquement qu’en cas de cancer de l’utérus pendant la grossesse et en cas de grossesses extra utérine. Voyons ces cas dans l’ordre.

1) Le Cancer de l’utérus pendant la grossesse

Imaginons qu’une femme soit diagnostiquée avec un cancer de l’utérus et qu’elle soit aussi enceinte à ce moment-là. Il est alors possible de procéder à une hystérectomie (opération chirurgicale visant à enlever tout ou une partie de l’utérus). A ce stade de la grossesse, le fœtus n’est pas encore viable. Si le médecin attend pour enlever l’utérus, jusqu’à ce que l’enfant soit viable, le cancer tuera la mère. Si le docteur n’attend pas pour enlever l’utérus immédiatement, l’enfant mourra certainement. Est-ce que la mère commet un avortement direct si elle demande à se faire retirer son utérus, sachant que cela aboutira à la mort de son enfant ? Non, puisque la mort de son enfant sera une conséquence secondaire non intentionnelle. La mort de l’enfant n’est pas provoquée directement. Elle est seulement tolérée comme une conséquence secondaire inévitable. L’opération est donc moralement acceptable.

2) La grossesse extra-utérine

La grossesse extra-utérine, se produit lorsqu’un l’embryon s’implante en dehors de l’utérus d’une femme. Elle peut provoquer des hémorragies dangereuses et nécessite des soins médicaux immédiats. Dans plus de 95 % des cas, le bébé s’implante dans les trompes de Fallope. C’est ce qu’on appelle une grossesse tubaire. Une des manières courantes d’intervention chirurgicale utilisée aujourd’hui est la salpingectomie. Cette opération consiste à faire une ablation chirurgicale d’une ou des deux trompes de Fallope (avec l’embryon qui réside dans les trompes).

Une telle opération est acceptable pour ceux qui considèrent que l’embryon est une personne car elle consiste à écarter une menace vitale pour la vie de la mère tout en sachant qu’une conséquence secondaire non voulue comme fin ou moyen, résultera dans la mort de l’embryon, ce qui est compatible avec le principe du double effet. En effet, même si l’embryon finira par mourir dans la  trompe de Fallope qui sera enlevée, la mort de cet embryon n’est pas intentionnelle. Si nous avions les moyens médicaux pour qu’il grandisse hors du ventre, il faudrait le faire, mais cela n’est pas possible actuellement. L’intervention chirurgicale n’est donc pas un avortement direct au sens propre puisqu’on ne tue pas directement l’embryon.

Qu’en est-il des opérations comme la salpingotomie et le méthotrexate pour résoudre les grossesses extra-utérines?

Vient alors une question épineuse. Il existe aujourd’hui d’autres moyens que la salpingectomie pour traiter le cas des grossesses extra-utérines (la salpingotomie et l’injection de méthotrexate).

La salpingotomie consiste à créer une incision dans la trompe
de Fallope (sans la couper intégralement) en vue de retirer l’embryon qui
y réside tandis que l’intervention par méthotrexate consiste à injecter ce
produit mortel qui va directement attaquer l’embryon en agissant sur le
trophoblaste
.

Sur le plan moral, il est évident que l’injection de méthotrexate
est un avortement direct et donc irrecevable. En revanche, il semble que cela ne soit pas le cas pour la salpingotomie qui reste en elle-même moralement licite. Même si cette question reste débattue chez les moralistes catholiques, les philosophes Christopher Kaczor et William May ont bien fait remarquer
que le but de la salpingotomie n’est pas de tuer l’embryon en tant que tel,
mais plutôt de l’enlever du lieu où il réside pour sauver la mère sans porter
directement atteinte à son intégrité. « Retirer l’embryon n’est pas la même
chose que de le tuer intentionnellement
», affirmait Christopher Kaczor dans
son article « Ectopic Pregnancy and the Catholic Hospital ».

En d’autres termes, anticiper que l’embryon va finir par mourir (parce que nous n’avons pas les moyens actuellement pour le maintenir en vie en dehors du ventre) n’est pas la même chose que de le tuer par un acte direct lorsqu’il est encore dans le ventre de sa mère (ce qui est le cas du méthotrexate qui agit directement sur le trophoblaste). Pour plus de détails voir l’ouvrage de référence en la matière: William E. May, Catholic Bioethics,p. 194-196.

Rappelons ici l’enseignement du pape Pie XII qui affirmait lors de son Discours aux participants du VIe congrès international de chirurgie en 1948 : « S’il est blâmable de mutiler un homme même sur sa demande instante, dans le but de le soustraire au devoir de combattre pour défendre sa patrie, ou de mettre à mort un innocent pour en sauver un autre ; il n’est pas moins défendu – même pour sauver la mère – de causer directement la mort d’un petit être appelé, sinon pour la vie d’ici-bas, au moins pour la vie future, à une haute et sublime destinée ! »

Le Père Basile, théologien renommé de l’abbaye du Barroux, en parfaite communion avec Rome, concluait également dans ses cours de théologie morale: « Dans aucun de ces cas on ne pourrait tuer l’enfant soit comme moyen, soit comme fin ; en particulier, on ne peut pas utiliser un médicament qui le tue (par exemple le méthotrexate, médicament qui sert normalement contre le cancer, et n’est pas prévu officiellement pour l’IVG, mais qui de fait est utilisé pour interrompre les G.E.U., afin de pouvoir extraire plus facilement l’embryon par chirurgie, ou de le faire expulser plus facilement par l’organisme » (Cours de théologie morale, 2015, Les anomalies d’emplacement ou grossesses ectopiques)

En résumé:

  1. L’Eglise enseigne que tout avortement direct (c’est à dire qui tue directement le bébé) est intrinsèquement immoral (Evangelium Vitae 57 et 62).
  2. Or la prise de méthotrexate est un avortement direct puisqu’il s’attaque directement au trophoblaste du bébé.
  3. La salpingectomie (et possiblement la salpingotomie) ne sont pas des avortements directs en tant que tels puisqu’ils ne s’attaquent pas directement à l’intégrité physique du bébé pour le mettre à mort. => Ils sont donc acceptables pour sauver la mère (cf le principe du double effet).



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