
Dans notre France du 21ième siècle, la laïcité est un concept qui va de soi et que personne aujourd’hui n’oserait remettre en question. Toutefois beaucoup de catholiques ignorent ce qu’enseigne l’Eglise à ce sujet. Cet article vise donc à rappeler l’enseignement officiel du magistère sur le rapport entre l’Eglise et l’Etat. On peut résumer cet enseignement en deux points :
- L’Eglise a toujours enseignée la distinction entre le spirituel et le temporel. Cette distinction remonte à la parole de Jésus dans Evangiles: « Rendez à César ce qui est à César à Dieu ce qui est à Dieu ». Autrement dit, les clercs ne sont pas appelés à faire de la politique politicienne (à se présenter aux élections, à devenir gouverneur d’un pays, etc.).
- En revanche, l’Eglise condamne la séparation totale de l’Eglise et de l’Etat
En effet, l’Eglise a toujours enseignée que la laïcité au sens de la loi de 1905 n’était pas recevable du point de vue de la doctrine catholique puisqu’elle qu’elle met toutes les religions sur le même plan dans l’ordre public et transforme la société en un athéisme/agnosticisme d’Etat, relativisant ainsi la place de la vraie religion.
Cette loi de 1905 a été d’ailleurs été formellement condamnée par le Saint Siège le 11 février 1906 quand le Pape saint Pie X publia, l’encyclique Véhémenter Nos: « Qu’il faille séparer l’Etat de l’Eglise, c’est une thèse absolument fausse, une très pernicieuse erreur. Basée, en effet, sur ce principe que l’Etat ne doit reconnaître aucun culte religieux, elle est tout d’abord très gravement injurieuse pour Dieu, car le créateur de l’homme est aussi le fondateur des sociétés humaines et il les conserve dans l’existence comme il nous soutient. Nous lui devons donc, non seulement un culte privé, mais un culte public et social, pour l’honorer. En outre, cette thèse est la négation très claire de l’ordre surnaturel; elle limite, en effet, l’action de l’Etat à la seule poursuite de la prospérité publique durant cette vie, qui n’est que la raison prochaine des sociétés politiques, et elle ne s’occupe en aucune façon, comme lui étant étrangère, de leur raison dernière qui est la béatitude éternelle proposée à l’homme quand cette vie si courte aura pris fin. Et pourtant, l’ordre présent des choses qui se déroulent dans le temps se trouvant subordonné à la conquête de ce bien suprême et absolu, non seulement le pouvoir civil ne doit pas faire obstacle à cette conquête, mais il doit encore nous y aider[…] Aussi, les pontifes romains n’ont-ils pas cessé, suivant les circonstances et selon les temps, de réfuter et de condamner la doctrine de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Les sociétés humaines ne peuvent pas, sans devenir criminelles, se conduire comme si Dieu n’existait pas ou refuser de se préoccuper de la religion comme si elle leur était chose étrangère ou qui ne pût leur servir de rien. Quant à l’Eglise, qui a Dieu lui-même pour auteur, l’exclure de la vie active de la nation, des lois, de l’éducation de la jeunesse, de la société domestique, c’est commettre une grande et pernicieuse erreur! En se séparant de l’Eglise, un Etat chrétien, quel qu’il soit, commet un acte éminemment funeste et blâmable, combien n’est-il pas à déplorer que la France se soit engagée dans cette voie… »
Et le Pape saint Pie X de conclure: « C’est pourquoi, Nous souvenant de notre charge apostolique et conscient de l’impérieux devoir qui nous incombe de défendre contre toute attaque- et de maintenir dans leur intégrité absolue les droits inviolables et sacrés de l’Eglise, en vertu de l’autorité suprême que Dieu nous a conférée, Nous, pour les motifs exposés ci-dessus, nous réprouvons et nous condamnons la loi votée en France sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat comme profondément injurieuse vis-à-vis de Dieu, qu’elle renie officiellement, en posant en principe que la République ne reconnaît aucun culte. Nous la réprouvons et condamnons comme violant le droit naturel, le droit des gens et la fidélité due aux traités, comme contraire à la constitution divine de l’Eglise, à ses droits essentiels, à sa liberté, comme renversant la justice et foulant aux pieds les droits de propriété que l’Eglise a acquis à des titres multiples et, en outre, en vertu du Concordat. Nous la réprouvons et condamnons comme gravement offensante pour la dignité de ce Siège apostolique, pour notre personne, pour l’épiscopat, pour le clergé et pour tous les catholiques français. En conséquence, nous protestons solennellement de toutes nos forces contre la proposition, contre le vote et contre la promulgation de cette loi, déclarant qu’elle ne pourra jamais être alléguée contre les droits imprescriptibles et immuables de l’Eglise pour les infirmer. »
Cette sentence peut paraitre sévère, mais le Pape saint Pie X n’invente rien. Il ne fait que reprendre l’enseignements de ses prédécesseurs notamment Grégoire XVI1 et Pie IX, qui, dans son syllabus des erreurs, condamnait la proposition: «L’Église doit être séparée de l’État, et l’État séparé de l’Église » (Proposition 55)
Dans son encyclique Au milieu des sollicitudes, le Pape Léon XIII qualifiait lui aussi cette séparation « d’absurde » et affirmait que les catholiques ne pouvaient pas y être favorables: « le principe de la séparation de l’État et de l’Église, [ …] équivaut à séparer la législation humaine de la législation chrétienne et divine. Nous ne voulons pas nous arrêter à démontrer ici tout ce qu’a d’absurde la théorie de cette séparation ; chacun le comprendra de lui-même. Dès que l’État refuse de donner à Dieu ce qui est à Dieu, il refuse, par une conséquence nécessaire, de donner aux citoyens ce à quoi ils ont droit comme hommes ; car, qu’on le veuille ou non, les vrais droits de l’homme naissent précisément de ses devoirs envers Dieu. D’où il suit que l’État, en manquant, sous ce rapport, le but principal de son institution, aboutit en réalité à se renier lui-même et à démentir ce qui est la raison de la propre existence. Ces vérités supérieures sont si clairement proclamées par la voix même de la raison naturelle, qu’elles s’imposent à tout homme que n’aveugle pas la violence de la passion. Les catholiques, en conséquence, ne sauraient trop se garder de soutenir une telle séparation. En effet, vouloir que l’État se sépare de l’Église, ce serait vouloir, par une conséquence logique, que l’Église fût réduite à la liberté de vivre selon le droit commun à tous les citoyens. » (Léon XIII Encyclique Au milieu des sollicitudes, 16 février 1892)
Dans cette même veine, le Pape Pie XI rappelle lui aussi que « toutes les fois que par « laïcité » on entend un sentiment ou une intention contraire ou étrangère à Dieu et à la religion, Nous réprouvons entièrement cette « laïcité » et Nous déclarons ouvertement qu’elle doit être réprouvée. » (encyclique Maximam gravissimamque du 18 janvier 1924)
Or c’est précisément ce qu’implique la loi de 1905 promulguée en France. Cette loi visait à ce que la Dieu ou la religion soit étrangère à la sphère publique et que toutes les religions soient mises au même niveau. C’est pourquoi le 21 février 1906, à peine dix jours après la publication de Véhémenter Nos, le Pape saint Pie X renchérissait avec force :
« Mais l’offense infligée naguère à l’Eglise et a Nous est si grave et si violente que Nous ne pouvons la passer sous silence, et, le voudrions-Nous, Nous ne pourrions la taire sans manquer à notre devoir. Vous devinez, Vénérables Frères, que Nous voulons parler de cette loi absolument inique, ourdie pour la ruine du catholicisme, qui vient d’être promulguée en France en vue de la séparation de l’Etat d’avec l’Eglise. Notre récente Encyclique [Vehementer Nos] adressée aux évêques, au clergé et au peuple français a montré pleinement combien cette loi est odieuse et contraire aux droits de Dieu et de l’Eglise. Mais pour ne négliger en aucun point Notre charge apostolique, Nous Nous proposons de préciser et de confirmer solennellement, en votre présence auguste, ce que Nous avons dit. En effet, pouvons-Nous ne pas réprouver cette loi, lorsque son titre même montre sa malice et la condamne? Il s’agit, Vénérables Frères, de séparer violemment l’Etat de l’Eglise. Donc, telle qu’elle est, elle tend au mépris du Dieu éternel et Très-Haut, puisqu’elle affirme qu’aucun culte ne lui est dit par l’Etat. Or, Dieu n’est pas seulement le seigneur et le maître des hommes considérés individuellement, mais il l’est aussi des nations et des Etats ; il faut donc que ces nations et ceux qui les gouvernent le reconnaissent, le respectent et le vénèrent publiquement. Si l’oubli de ce devoir et ce divorce sont partout injurieux pour la majesté divine, ils sont en France une ingratitude plus grande et un malheur plus funeste.» (Allocution au Consistoire Gravissimum apostolici muneris, 21 février 1906 – Sur la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en France)
Et le Pape saint Pie X délivra la sentence finale, avec une solennité sans précédent : « En vertu de la suprême autorité dont Nous jouissons comme tenant la place du Christ sur la terre, Nous la condamnons et réprouvons comme injurieuse au Dieu très bon et très grand, contraire à la divine constitution de l’Eglise, favorisant le schisme, hostile à Notre autorité et à celle des pasteurs légitimes, spoliatrice des biens de l’Eglise, opposée au droit des gens, ennemie du Siège apostolique et de Nous-même, très funeste aux évêques, au clergé et aux catholiques de France; Nous prononçons et Nous déclarons que cotte loi n’aura jamais et en aucun cas aucune valeur contre les droits perpétuels de l’Eglise. Et maintenant, Notre coeur se tourne vers la nation française; avec elle, Nous sommes affligé; avec elle, Nous pleurons. Que personne ne pense que Notre amour pour elle s’est refroidi parce que Nous avons été si amèrement traité. Nous songeons avec douleur à ces Congrégations privées de leurs biens et de leur patrie. Nous voyons avec une paternelle inquiétude des multitudes d’adolescents réclamant une éducation chrétienne. Nous avons devant les yeux les évêques, Nos Frères, et les prêtres jetés au milieu des tribulations et exposés à des maux plus graves encore. Nous chérissons les fidèles opprimés sous cette loi; Nous les embrassons d’un cœur paternel et plein d’amour. L’audace et l’iniquité des méchants ne pourront jamais effacer les mérites acquis par la France, durant le cours des siècles, envers l’Eglise. Notre espoir est que ces mérites s’accroîtront encore quand les temps seront redevenus paisibles. C’est pourquoi Nous exhortons Nos Fils chéris à ne pas se décourager ni se laisser abattre par les épreuves et les difficultés des temps. Qu’ils veillent, fermes dans la foi ; qu’ils agissent virilement, se rappelant la devise de leurs ancêtres : Christus amat Francos. Le Siège apostolique sera toujours près d’eux, ne laissant jamais la Fille aînée de l’Eglise réclamer inutilement les secours de sa sollicitude et de sa charité. » (Ibid)
Il est donc clair que l’enseignement officiel de l’Eglise catholique s’oppose à la laïcité Républicaine telle qu’elle est implantée en France depuis plus d’un siècle, n’en déplaise à certains évêques français.2
- « Nous ne pourrions augurer des résultats plus heureux pour la religion et pour le pouvoir civil, des désirs de ceux qui appellent avec tant d’ardeur la séparation de l’Église et de l’État, et la rupture de la concorde entre le sacerdoce et l’empire. Car c’est un fait avéré, que tous les amateurs de la liberté la plus effrénée redoutent par dessus tout cette concorde, qui toujours a été aussi salutaire et aussi heureuse pour l’Église que pour l’État. » (Encyclique Mirari Vos, 1832) ↩︎
- Mgr Georges PONTIER, 4 décembre 2015, Archevêque de Marseille, Président de la Conférence des évêques de France, affirme en effet: « L’Eglise catholique, depuis des décennies maintenant, ne remet pas en cause cette loi [de 1905]. Elle la respecte. […]Encore faut-il qu’elle soit appliquée avec vigilance et respect. C’est notre volonté, notre exigence et notre engagement. » (https://eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/411195-declaration-a-loccasion-du-110eme-anniversaire-de-la-loi-de-1905 )
Mgr. Éric de Moulins-Beaufort affirmait quant à lui: « Nous, catholiques, nous nous trouvions très bien dans le régime actuel tel qu’il est en vertu de la loi de 1905. […] Ce régime nous convient. Nous ne sommes pas demandeurs de modifications ou d’amélioration de la situation des associations cultuelles de 1905. » (Audition de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, mercredi 3 février 2021, https://www.senat.fr/rap/l20-454-2/l20-454-21.pdf) ↩︎