Peut-on être catholique et pour l’avortement?

Introduction

Mon livre La raison est pro-vie, arguments non religieux pour un débat dépassionné1 démontre qu’il n’y a pas besoin d’être catholique pour être contre l’avortement et qu’il existe de bonnes raisons non religieuses de s’opposer à cet acte. En revanche est-ce que le fait d’être catholique implique logiquement d’être contre l’avortement ? En d’autres termes, peut-on se revendiquer catholique et défendre le droit d’avorter? Voyons ce qu’enseigne l’Eglise catholique à ce sujet.

Historiquement il est manifeste que l’Eglise condamne l’avortement avec force.2 Le livre de la   Didachè, l’un des premiers ouvrages chrétiens datant du 1er siècle, affirme : « Tu ne tueras pas l’embryon par l’avortement et tu ne feras pas périr le nouveau-né » Cette position est réaffirmée tout au long de l’histoire de l’Eglise par l’ensemble des papes et des évêques. Il est vrai que les théologiens catholiques dans l’histoire ont débattu du moment précis où avait lieu l’insufflation de l’âme, mais il n’en demeure pas moins que l’Eglise n’a jamais hésité à condamner fermement l’avortement comme un « crime abominable ». Le concile Vatican II rappelle que « l’avortement est un crime abominable, en même temps que l’infanticide. » (Gaudium et spes 51,3)

Magistère

Plus récemment, l’Eglise a d’ailleurs fait usage de son charisme d’infaillibilité pour condamner le meurtre intentionnel d’un être humain innocent dans l’encyclique Evangelium Vitae (1995) « Avec l’autorité conférée par le Christ à Pierre et à ses Successeurs, en communion avec tous les évêques de l’Eglise catholique, je confirme que tuer directement et volontairement un être humain innocent est toujours gravement immoral. Cette doctrine, fondée sur la loi non écrite que tout homme découvre dans son cœur à la lumière de la raison (cf. Rm 2, 14-15), est réaffirmée par la Sainte Ecriture, transmise par la Tradition de l’Église et enseignée par le Magistère ordinaire et universel. La décision délibérée de priver un être humain innocent de sa vie est toujours mauvaise du point de vue moral et ne peut jamais être licite, ni comme fin, ni comme moyen en vue d’une fin bonne. En effet, c’est une grave désobéissance à la loi morale, plus encore à Dieu lui-même, qui en est l’auteur et le garant ; cela contredit les vertus fondamentales de la justice et de la charité. Rien ni personne ne peut autoriser que l’on donne la mort à un être humain innocent, fœtus ou embryon, enfant ou adulte, vieillard, malade incurable ou agonisant. Personne ne peut demander ce geste homicide pour soi ou pour un autre confié à sa responsabilité, ni même y consentir, explicitement ou non. Aucune autorité ne peut légitimement l’imposer, ni même l’autoriser ». 

On pourrait encore citer Donum Vitae3:

« Dès le moment de sa conception, la vie de tout être humain doit être absolument respectée, car l’homme est sur terre l’unique créature que Dieu a « voulue pour lui-même » et l’âme spirituelle de tout homme est « immédiatement créée » par Dieu ; tout son être porte l’image du Créateur. La vie humaine est sacrée parce que, dès son origine, elle comporte l’action créatrice de Dieu » et demeure pour toujours dans une relation spéciale avec le Créateur, son unique fin. Dieu seul est le Maître de la vie de son commencement à son terme : personne, en aucune circonstance, ne peut revendiquer pour soi le droit de détruire directement un être humain innocent. […] Cet enseignement n’est pas changé, et il demeure inchangeable. »

L’Eglise reprend aussi dans l’encyclique Evangelium Vitae, l’argument agnostique contre l’avortement : si on ne sait pas, on ne tue pas.

     D’ailleurs l’enjeu est si important que, du point de vue de l’obligation morale, la seule probabilité de se trouver en face d’une personne suffirait à justifier la plus nette interdiction de toute intervention conduisant à supprimer l’embryon humain. Précisément pour ce motif, au-delà des débats scientifiques et même des affirmations philosophiques à propos desquelles le Magistère ne s’est pas expressément engagé, l’Eglise a toujours enseigné, et enseigne encore, qu’au fruit de la génération humaine, depuis le premier moment de son existence, doit être garanti le respect inconditionnel qui est moralement dû à l’être humain dans sa totalité et dans son unité corporelle et spirituelle :  L’être humain doit être respecté et traité comme une personne dès sa conception, et donc dès ce moment on doit lui reconnaître les droits de la personne, parmi lesquels en premier lieu le droit inviolable de tout être humain innocent à la vie

Des origines à nos jours la Tradition chrétienne est claire et unanime pour qualifier l’avortement de désordre moral particulièrement grave. Depuis le moment où elle s’est affrontée au monde gréco-romain, dans lequel l’avortement et l’infanticide étaient des pratiques courantes, la première communauté chrétienne s’est opposée radicalement, par sa doctrine et dans sa conduite, aux mœurs répandues dans cette société, comme le montre bien la Didachè. A travers son histoire déjà bimillénaire, cette même doctrine a été constamment enseignée par les Pères de l’Eglise, par les Pasteurs et les Docteurs. Même les discussions de caractère scientifique et philosophique à propos du moment précis de l’infusion de l’âme spirituelle n’ont jamais comporté la moindre hésitation quant à la condamnation morale de l’avortement.»

La condamnation doctrinale finale de l’avortement (infaillible pour les catholiques)4prend la forme suivante :

« Devant une pareille unanimité de la tradition doctrinale et disciplinaire de l’Eglise, Paul VI a pu déclarer que cet enseignement n’a jamais changé et est immuable.  C’est pourquoi, avec l’autorité conférée par le Christ à Pierre et à ses successeurs, en communion avec les Evêques — qui ont condamné l’avortement à différentes reprises et qui, en réponse à la consultation précédemment mentionnée, même dispersés dans le monde, ont exprimé unanimement leur accord avec cette doctrine —, je déclare que l’avortement direct, c’est-à-dire voulu comme fin ou comme moyen, constitue toujours un désordre moral grave, en tant que meurtre délibéré d’un être humain innocent. Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite ; elle est transmise par la Tradition de l’Eglise et enseignée par le Magistère ordinaire et universel. Aucune circonstance, aucune finalité, aucune loi au monde ne pourra jamais rendre licite un acte qui est intrinsèquement illicite, parce que contraire à la Loi de Dieu, écrite dans le cœur de tout homme, discernable par la raison elle-même et proclamée par l’Eglise. » (Evangelum Vitae 62)

Sanctions pénales et excommunication :

« Depuis les premiers siècles, la discipline canonique de l’Eglise a frappé de sanctions pénales ceux qui se souillaient par la faute de l’avortement, et cette pratique, avec des peines plus ou moins graves, a été confirmée aux différentes époques de l’histoire. […] L’excommunication frappe tous ceux qui commettent ce crime en connaissant la peine encourue, y compris donc aussi les complices sans lesquels sa réalisation n’aurait pas été possible. Par la confirmation de cette sanction, l’Eglise désigne ce crime comme un des plus graves et des plus dangereux, poussant ainsi ceux qui le commettent à retrouver rapidement le chemin de la conversion. En effet, dans l’Église, la peine de l’excommunication a pour but de rendre pleinement conscient de la gravité d’un péché particulier et de favoriser donc une conversion et une pénitence adéquates. »(Evangelum Vitae 62)

L’encyclique Evangelium Vitae continue :« Les lois qui autorisent et favorisent l’avortement et l’euthanasie s’opposent, non seulement au bien de l’individu, mais au bien commun et, par conséquent, elles sont entièrement dépourvues d’une authentique validité juridique. En effet, la méconnaissance du droit à la vie, précisément parce qu’elle conduit à supprimer la personne que la société a pour raison d’être de servir, est ce qui s’oppose le plus directement et de manière irréparable à la possibilité de réaliser le bien commun. Il s’ensuit que, lorsqu’une loi civile légitime l’avortement ou l’euthanasie, du fait même, elle cesse d’être une vraie loi civile, qui oblige moralement. »(Evangelum Vitae 72)

Conséquences politiques pour les catholiques

Cette condamnation a des conséquences politiques sur le vote des catholiques. Ces derniers ont l’obligation morale de s’opposer fermement à l’avortement au niveau de la loi, sous peine de péché grave.

« L’avortement et l’euthanasie sont donc des crimes qu’aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer. Des lois de cette nature, non seulement ne créent aucune obligation pour la conscience, mais elles entraînent une obligation grave et précise de s’y opposer par l’objection de conscience. Dès les origines de l’Eglise, la prédication apostolique a enseigné aux chrétiens le devoir d’obéir aux pouvoirs publics légitimement constitués (cf. Rm 13, 1-7 ; 1 P 2, 13-14), mais elle a donné en même temps le ferme avertissement qu’« il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29). Dans le cas d’une loi intrinsèquement injuste, comme celle qui admet l’avortement ou l’euthanasie, il n’est donc jamais licite de s’y conformer, « ni … participer à une campagne d’opinion en faveur d’une telle loi, ni … donner à celle-ci son suffrage ». Les chrétiens, de même que tous les hommes de bonne volonté, sont appelés, en vertu d’un grave devoir de conscience, à ne pas apporter leur collaboration formelle aux pratiques qui, bien qu’admises par la législation civile, sont en opposition avec la Loi de Dieu. En effet, du point de vue moral, il n’est jamais licite de coopérer formellement au mal.  […]  Cette coopération ne peut jamais être justifiée en invoquant le respect de la liberté d’autrui, ni en prenant appui sur le fait que la loi civile la prévoit et la requiert » (Evangelum Vitae 73)

Le catéchisme de l’église catholique (n°2242) confirme d’ailleurs que lorsque l’état agit de manière grave et désobéi objectivement à la loi morale donnée par Dieu, les citoyens ont le devoir moral de désobéir à la loi : « Le citoyen est obligé en conscience de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences de l’ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l’Evangile. »

Conclusion :

En conclusion, les catholiques sont dans l’obligation morale d’être contre l’avortement non seulement à titre personnel, mais à titre général. Ils doivent lutter contre l’avortement au sein de la société. La notion de « catholique pro-avortement » n’a pas plus de sens que l’idée de « célibataire marié ». Vous n’avez pas besoin d’être catholique pour être contre l’avortement. En revanche, si vous vous revendiquez catholique, vous devez nécessairement vous opposer à l’avortement politiquement.

A ce sujet, le cardinal Ratzinger, futur pape Benoit XVI, avait affirmé en 2004 que les catholiques qui font campagne ou qui votent de manière constante en faveur de l’avortement doivent être exclu de la communion eucharistique.5 Une telle doctrine est fondée sur le canon 915 du code de droit canonique qui affirme que : « Ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifesté ne seront pas admis à la sainte communion ».

Le pape François qui, lui aussi, considère qu’avorter revient à avoir recours à « un tueur à gages »6 a réaffirmé cette position en 2013. Dans une lettre envoyée aux évêques d’Argentine, il déclare que les gens « ne peuvent pas recevoir la Sainte Communion et en même temps agir par des actes ou des paroles contre les commandements, en particulier lorsque l’avortement, l’euthanasie et d’autres crimes graves contre la vie et la famille sont encouragés. Cette responsabilité pèse particulièrement sur les législateurs, les chefs de gouvernement et les professionnels de santé. »7

Possibilité de pardon pour les femmes qui ont eu recours à l’avortement :

Même si l’Eglise condamne fermement le crime qu’est l’avortement, elle se montre douce et pleine d’amour pour les femmes ayant avortés qui cherchent sincèrement le pardon de Dieu. Jean-Paul II s’adressait à ces femmes de la manière suivante : « Je voudrais adresser une pensée spéciale à vous, femmes qui avez eu recours à l’avortement. L’Eglise sait combien de conditionnements ont pu peser sur votre décision, et elle ne doute pas que, dans bien des cas, cette décision a été douloureuse, et même dramatique. Il est probable que la blessure de votre âme n’est pas encore refermée. En réalité, ce qui s’est produit a été et demeure profondément injuste. Mais ne vous laissez pas aller au découragement et ne renoncez pas à l’espérance. Sachez plutôt comprendre ce qui s’est passé et interprétez-le en vérité. Si vous ne l’avez pas encore fait, ouvrez-vous avec humilité et avec confiance au repentir : le Père de toute miséricorde vous attend pour vous offrir son pardon et sa paix dans le sacrement de la réconciliation. C’est à ce même Père et à sa miséricorde qu’avec espérance vous pouvez confier votre enfant.» (Evangelum Vitae §99)


  1. Editions Artège, 2024 https://www.editionsartege.fr/product/130718/la-raison-est-pro-vie/ ↩︎
  2. La Bible condamne fermement l’avortement elle aussi en affirmant que Dieu a un projet pour nous dès notre création dans le ventre de notre mère :
    « Avant de t’avoir formé dans le ventre de ta mère, je te connaissais, et avant que tu sois sorti de son sein, je t’avais consacré, je t’avais établi prophète des nations. » (Jérémie 1, 5)
    «Le même Dieu ne nous a-t-il pas formés dans le sein maternel ? » (Job 31, 15)
    « C’est toi qui as formé mes reins, Qui m’as tissé dans le sein de ma mère. […]Quand je n’étais qu’une masse informe, tes yeux me voyaient » (Psaumes 139, 13-16)
    « Oui, tu m’as fait sortir du sein maternel, tu m’as mis en sûreté sur les mamelles de ma mère ; dès le sein maternel j’ai été sous ta garde, dès le ventre de ma mère tu as été mon Dieu. » (Psaumes 22, 9-10)
    « Dès qu’Elisabeth entendit la salutation de Marie, son enfant tressaillit dans son sein, et elle fut remplie du Saint-Esprit. […] Car voici, aussitôt que la voix de ta salutation a frappé mon oreille, l’enfant a tressailli d’allégresse dans mon sein. (Luc 1, 41) 
    Il est à noter que, dans le Nouveau Testament, le mot « bébé » (qui s’écrit « brephos » en grec) est employé pour décrire à la fois les enfants nés et les fœtus. Par conséquent, il est clair que la Bible enseigne que l’enfant doit être respecté dès le sein de sa mère. Ce qui implique logiquement que la Bible proscrit l’avortement ↩︎
  3. https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_19870222_respect-for-human-life_fr.htm ↩︎
  4. Cette déclaration est infaillible car elle appartient au magistère ordinaire et universel qui est infaillible d’après le code de droit canonique 750 : « On doit croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu écrite ou transmise par la tradition, c’est-à-dire dans l’unique dépôt de la foi confié à l’Église et qui est en même temps proposé comme divinement révélé par le magistère solennel de l’Église ou par son magistère ordinaire et universel, à savoir ce qui est manifesté par la commune adhésion des fidèles sous la conduite du Magistère sacré ; tous sont donc tenus d’éviter toute doctrine contraire. »
    Pour toutes les précisions au niveau des conditions de l’infaillibilité du magistère, on lira l’excellent ouvrage de Jimmy Akin, Teaching With Authority, 2018, ainsi que les brillants travaux de l’érudit abbé Bernard Lucien disponibles en ligne:
    1) Les degrés d’autorité du magistère
    https://www.academia.edu/10563042/Bernard_lucien_les_degres_d_autorite_du_magistere_corrig%C3%A9
    2) l’infaillibilité du magistère ordinaire et universel de l’Eglise,
    https://www.academia.edu/40047214/LUCIEN_Bernard_Linfaillibilit%C3%A9_du_Magist%C3%A8re_ordinaire_et_universel_de_l%C3%89glise_r%C3%A9%C3%A9d ↩︎
  5. Dignité de recevoir la Sainte communion : principes généraux (Joseph Ratzinger) https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Archives/Documentation-catholique-n-2322/Etre-digne-de-recevoir-la-sainte-communion-principes-generaux-2013-04-16-943945 . ↩︎
  6. https://www.francetvinfo.fr/monde/vatican/pape-francois/avortement-les-propos-chocs-du-pape-francois_2980635.html#:~:text=Sur%20l%27avortement%2C%20le%20pape%20Fran%C3%A7ois%20est%20aussi%20le,comparant%20%C3%A0%20une%20pratique%20utilis%C3%A9e%20par%20les%20nazis. ↩︎
  7. https://www.lifenews.com/2013/05/07/pope-francis-pro-abortion-politicians-ineligible-for-communion/ ↩︎

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